Dans cet entretien, Rachid HAMATOU revient sur l’élaboration de « Raconte-moi les Aurès » (édité par le Haut Commissariat à l’Amazighité et la Librairie Guerfi de Batna), un beau-livre qui présente le patrimoine matériel et immatériel des Aurès, à travers des photographies, mais aussi des portraits, des contributions et des hommages.
- Vous êtes photographe ayant exposé plusieurs fois et journaliste, comment s’est fait le passage à l’écriture ?
Rachid HAMATOU : Au collège, j’étais déjà un petit épistolier ; j’avais mon frère Salim qui étudiait la littérature à l’Université de Constantine et on s’écrivait beaucoup. Surtout moi ! Et à son retour pour les vacances, il ramenait la totalité du courrier pour qu’on le corrige ensemble. C’était des moments de franche rigolade et des fautes d’orthographes au kilogramme ! (J’en fais toujours d’ailleurs !). Mais ce qui était important est que j’apprenais et prenais un malin plaisir aussi à rédiger d’autres lettres. Ce qui était une corvée est devenu un plaisir. Je tenais aussi un journal (enfin un cahier) intime. Au total, j’en ai onze (11) que je conserve toujours ; par exemple, je peux vous dire ce que j’ai fait le 15 juillet 1976 à 14 heures… Pour revenir à votre question, le problème n’est pas dans la difficulté ; l’écriture et la photographie sont deux formes d’expressions, qui se croisent souvent, quoi que l’on dise. Ecrire et photographier c’est marquer l’instant, figer le moment, rester en extase, et pas besoin d’être un expert dans l’une des deux disciplines pour découvrir, apprécier, partager… et c’est ce que je fais. Je suis, de plus, un enfant de la campagne, de la montagne. Je suis né à El Madher (à 27 kilomètres de Batna), même si nous, habitants de ce beau village, préférons l’appeler Tahmemet, parce que pour nous, l’étymologie et la toponymie ont un sens. Et, en fait, je me rends compte qu’à travers mon travail, je n’ai rien découvert, j’ai plutôt retrouvé ce que j’ai quitté, sans qu’on me demande mon avis de partir ou de rester. Avec le temps, la douleur s’est apaisée sans disparaître, mais je n’ai jamais voulu quitter mon village, ma montagne… Si vous me dîtes Jean Ferrat, je vous dirais OUI ! Le passage à l’écriture est venu après bien des années de gribouillage. Une enseignante de langue française au lycée me disait : « Vous n’écrivez pas Rachid, vous labourez » (tant mon écriture était mauvaise). Et de poursuivre : « Continuez quand même, ça va pousser un jour ». J’ai toujours été fasciné par les textures, les couleurs, les tons, le patrimoine – notre maison à El Madher se trouve à 40 minutes du tombeau d’Imedghassen – et j’ai surtout photographié jusqu’à ma première expérience dans le journalisme. J’ai été correspondant régional du quotidien « Le Matin » et j’accompagnais mes papiers de photographies, qui ne sont pas passées inaperçues. Feu Redouane Zizi, Hassina Amrouni et d’autres, me répétaient d’éditer un livre, et comme je peux parfois être obéissant, j’ai obéi…
Ce sont 200 kilomètres de terres, de mémoires, d’histoire. J’ai vu du pays étant un enfant du pays et c’est un regard de l’intérieur que je propose, pour la simple raison que je ne suis pas de passage. Je donne à voir, à aimer, à s’identifier, et même à arracher des soupirs.
- « Raconte-moi les Aurès » présente la richesse du patrimoine matériel et immatériel d’une région. Comment vous avez travaillé sur ce livre ? Votre métier de journaliste et de « chasseur d’images » (comme vous vous présentez vous-même), vous a certainement permis de sillonner et de voir du pays…
Oui, amplement. Les Grecs désignaient l’Awres comme un pays et s’en est un. Un pays dans un continent. Si le nom fait rêver par son lot d’histoire, de legs, d’imaginaire populaire, il invite aussi au voyage, l’hospitalité chaoui étant légendaire et je sais de quoi et de qui je parle. Je lisais, en plus d’entendre parler de tel endroit ou tel autre dans l’Awres profond, ou de telle personnalité, etc. Par exemple, l’histoire d’une dame qui a pris les armes la nuit du 1er-Novembre, ou celle d’un auteur qui semble avoir été le premier (Apulée de Madaure)… La particularité de mon ouvrage réside peut-être dans le fait qu’il est l’un des rares à être consacré réellement aux Aurès, au pluriel, sur les plans linguistique et géographique. Ce sont 200 kilomètres de terres, de mémoires, d’histoire. J’ai vu du pays étant un enfant du pays et c’est un regard de l’intérieur que je propose, pour la simple raison que je ne suis pas de passage. Je donne à voir, à aimer, à s’identifier, et même à arracher des soupirs.
- Le livre s’organise autour de photographies, de portraits, de contributions, et d’hommages également.
C’est un peu dans l’air du temps la contribution et les contributeurs, et j’ai aimé cette façon de faire et m’a semblé approprié au contexte, mais aussi à l’esprit et la genèse de mon travail, qui n’a pu voir le jour que grâce au partage, à l’aide, à la proposition et à l’écoute. La structure générale du livre ne s’est pas imposée à moi, elle a été une manière de faire. Les contributeurs sont des Auressiens, et même s’ils ont quitté l’Aurès, ils restent Auressiens par le cœur, l’amour, l’appartenance et l’attachement. L’Aurès est leur muse. Il y a les contributions d’une anthropologue, d’un chroniqueur, d’un journaliste, d’un poète (en chaoui), d’une jeune architecte, d’une écrivaine, et ce sont autant de personnes que d’amour pour ce pays. Je rends hommage aussi à des Auressiens qui nous ont quittés : ce sont des citoyens qui ont – peut-être sans le savoir – transmis, perpétué et sauvé un patrimoine plurimillénaire.

- Vos photographies nous présentent de magnifiques sites, peu exploités (touristiquement notamment), vous qui connaissez bien la région et qui avez travaillé pendant longtemps (et continuez d’ailleurs) sur le patrimoine, quel est votre avis sur l’état du patrimoine matériel dans les Aurès ?
Je ne fais pas dans le catastrophisme mais je suis réaliste, du moins j’essaie de l’être. L’état du patrimoine matériel dans les Aurès est dramatique, inquiétant et rien ne présage que la situation change ou s’améliore. Ça peut sembler paradoxal mais la situation d’il y a quelques années était nettement mieux que celle de nos jours dans le sens où la dégradation est de plus en plus visible, et les sites qui étaient protégés naturellement, car inaccessibles, ne le sont plus et se dégradent à vue d’œil, à l’exemple du majestueux refuge de la Kahina (wilaya de Biskra), qui est devenu un lieu de villégiature, d’escalade, de tags, et j’en passe. Il y a également le tombeau numide d’Imedghassen, un champ d’expérience pour les apprentis-sorciers, qui est l’exemple même du site qui se portait mieux avant sa prétendue protection.
- Qu’en est-il du patrimoine immatériel ? Comment il vit et se préserve aujourd’hui ?
Le patrimoine immatériel, qui semble ne pas nécessité de gros moyens (contes, adages, fables, chansons, charades et bien d’autres joyaux) est un sujet d’intérêt particulier de la part des jeunes chercheurs, autodidactes et autres universitaires et étudiants du département de langue et culture amazighe (Anthropologie et Langue). Ces chercheurs ont trouvé, dans les Aurès, un terrain de recherche inespéré, vierge, riche et qui ne demandait qu’à être étudié et répertorié. Il y a un nombre incalculable de livres à produire sur toute l’œuvre d’Aïssa El Jarmouni, la chanson chaoui, les proverbes, la grammaire ; des guides et des manuels scolaire… D’ailleurs, mon ouvrage « Raconte-moi les Aurès » a été traduit en tamazight (variante Tachaouite), et un autre projet, dirigé par le docteur Ibechninene, est en cours au département des langues pour l’étude de « L’Aurès à travers la sémiotique de la photographie, ‘Raconte-moi les Aurès’ de Rachid Hamatou ».

- La publication de votre livre a été retardée et vous avez dû vous battre pour le voir édité. Que retenez-vous aujourd’hui de cette aventure éditoriale ?
Ça a été un parcours de combattant pour le publier effectivement, alors qu’on parle souvent d’accompagnement et d’aide pour la publication de ce genre de livres. Mon ouvrage a survécu à trois ministres, trois directeurs à l’ANEP (qui devait l’éditer initialement) et a été sauvé de l’oubli par une initiative du Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA). M. Si El Hachemi Assad, secrétaire général du HCA, est intervenu en personne pour l’édition de mon livre. Quelque part, je suis un peu chanceux du fait de la proximité géographique de Batna par rapport à Alger, ce qui m’a permis d’honorer mes rendez-vous.
- Vous préparez, par ailleurs, un livre sur le tapis. Pourriez-vous nous en parler ?
Oui, effectivement. Le temps presse et il faut se faire une place vaille que vaille ! Il y a plus d’une vingtaine d’années, j’ai réalisé un reportage sur le tapis des Nememcha à Babar (wilaya de Khenchela) et je suis revenu, il y a une dizaine d’années avec une collègue, Hanane Semane, qui travaillait pour le quotidien « El Watan ». J’ai été estomaqué par la situation de ce tapis, qui a eu les 1ers prix dans les années 1940, mais le plus dramatique dans tout cela est que les tisseuses et tisseurs n’ont ni atelier ni aide. En tout cas, je travaille d’arrache-pied sur ce projet, et je m’intéresse aussi bien au tapis des Nememcha qu’à celui des Hrakta, Aith Soltane, Ouled Draj, Segana, Ighoussar, Touaba…
Sara Kharfi
- « Raconte-moi les Aurès » de Rachid Hamatou. Beau-livre, 122 pages, coédition HCA/Librairie Guerfi de Batna, octobre 2019. Prix : 2000 DA.
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