Le beau-livre « Raconte-moi les Aurès » de Rachid Hamatou : Voyage dans la mémoire

J’ai longtemps hésité avant d’écrire cet article, parce que Rachid est un ami depuis au moins dix ans. C’est aussi un ex-collègue, qui a toujours su, avec ses superbes photographies mais aussi sa plume, raconter l’Aurès, à travers sa richesse véritable, à savoir ses femmes et ses hommes. J’ai aussi suivi de très près l’évolution de son travail, son « combat » (le mot n’est pas fort !) pour le faire éditer, et à présent, le livre existe, et le résultat est un beau-livre qui raconte la diversité et le patrimoine (matériel et immatériel) d’une région, qui reste à découvrir. Et le temps d’une lecture, on y voyage.

Rachid Hamatou, photographe de talent et journaliste – qui se présente lui-même comme un « chasseur d’images » et un « correspondant de province » –, nous emmène, nous autres lecteurs, à travers son beau-livre, Raconte-moi les Aurès, édité par le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) et la Librairie Guerfi de Batna, à la rencontre des femmes et des hommes du « Grand Aurès », qui englobe « géographiquement et linguistiquement, Batna, Khenchela, Oum El Bouaghi, Souk Ahras, et Tébessa dite Aurès des Nememchas ».

Raconte-moi les Aurès nous présente la richesse du patrimoine matériel et immatériel d’une région, qui s’est, à la fois, modernisée, mais qui est aussi restée très attachée à son histoire, ses légendes et ses traditions. En effet, l’histoire et le patrimoine des Aurès sont des thèmes que Rachid s’est toujours donné pour mon mission de les faire connaître dans ses différentes contributions dans la presse. Dans son livre, où il a plus de liberté (d’espace notamment), il les décline, et ce, en leur consacrant des chapitres. Il s’intéresse, par exemple, à la toponymie, en relevant sa « dimension éminemment historique, identitaires ». Et de souligner : « A travers le Grand Aurès, il est possible encore de trouver quelques noms de lieux de différentes origines : romaine, byzantine et française, même si dans leur majorité, ils ont été quelque peu algérianisés ou berbérisés par la prononciation et l’usage populaire. »

Dans la partie consacrée au patrimoine matériel, l’auteur estime que l’architecture dans les Aurès est « une parfaite illustration de l’harmonie entre l’homme et la nature ». Il évoque le « canyon unique au monde » de Ghoufi, le site antique de Thamugadi (Timgad), le tombeau berbère d’Imedghassen. Il fait le point sur leur situation actuelle, leur classement (ou non-classement), les recherches qui ont été menées, les découvertes, la détérioration de certains sites…

Dans la partie consacrée au patrimoine immatériel, Rachid Hamatou s’intéresse à la légende d’Anzar, le dieu de la pluie, à la fête de Yennar (Yennayer), à celle du printemps (Thafsouth) et de l’automne (Thamaghra N’Tmenzouth de Tkout), à la Mlehfa (et à son retour), aux jeux traditionnels, aux savoir-faire [comme la poterie, le tapis chaoui]… La musique n’est pas en reste puisque l’auteur l’aborde et fait intervenir Salim Souhali, auteur-compositeur et chercheur.

Raconte-moi les Aurès compte une partie dédiée aux portraits. Ainsi, on fait la connaissance de Nena Noua, doyenne du petit village de Baïou, et on découvre son tempérament bien trempé ! Une partie est également consacrée à ceux qui « nous ont quittés » ; ce sont des hommages à, entre autres, l’écrivaine Yamina Mechakra, l’universitaire Mostefa Haddad, ou encore le sculpteur Mohamed Demagh. Le livre compte également des contributions, dont celle de la journaliste et écrivaine Nassira Belloula, qui raconte un souvenir d’enfance à Béni-Fédala ; celle du journaliste Maâmar Farah, qui nous emmène à Madaure ; ou encore celle du poète Abdallah Khalfa, qui signe un poème en chaoui, intitulé Taghit. On trouve aussi une contribution en anglais de Yasmine Bendaas, chercheuse installée aux Etats-Unis, qui travaille sur le tatouage.

En outre, l’intérêt et la force de ce livre réside dans ses superbes photographies, mais aussi dans le fait que le patrimoine des Aurès est raconté au présent, qu’il n’est pas figé, mais plutôt en mouvement. Un ouvrage qui nous montre de quelle manière les jeunes se réapproprient leur histoire et leur mémoire, et comment les plus âgés les ont maintenues et défendues.

Dans sa « Préface », le secrétaire général du HCA, Si El Hachemi Assad, estime que le livre est :

 « Une oeuvre nécessaire, une grande contribution dans le travail de préservation du patrimoine culturel et identitaire qui en a grandement besoin. C’est aussi avec l’image qu’on peut préserver, figer pour les générations futures ce qui nous est parvenu des aïeux. L’utilité de ce genre de procédé n’est pas à prouver, il conviendrait de l’encourager et, en cela, cette publication est louable. C’est de ce point de vue, qu’il convient d’accueillir l’oeuvre de Rachid Hamatou, non seulement pour son intérêt mais aussi pour sa valeur en tant que témoignage d’une façon d’être et de vivre sa culture. »

Enfin, il y a lieu de noter que Raconte-moi les Aurès sera étudié en Master 1 Langue Amazighe (département de Langue et Culture Amazighes, université de Batna) pour le module de traduction.

Sara Kharfi

  • Raconte-moi les Aurès de Rachid Hamatou. Beau-livre, 122 pages, coédition HCA/Librairie Guerfi de Batna, octobre 2019. Prix : 2000 DA. Le livre est disponible en librairie à Batna uniquement pour le moment.

Biographie de Rachid Hamatou

Né le 5 avril 1960 à Tahememt (El Madher), à quelques encablures du tombeau numide Imedghassen, Rachid Hamatou quitte son village natal, pour les lumières de la grande ville, Batna. C’est au lycée technique El-Bachir El-Ibrahimi que Rachid l’adolescent rencontre une jeune enseignante et photographe avertie. Cette femme trouvait des images dans les écrits de Rachid : Il s’agit souvent d’une certaine forme de nostalgie par rapport à un lieu quitté sans l’avoir voulu. L’enseignante offre à son élève son premier appareil photographique –un Ricoh KR10– et lui fait découvrir les Aurès. C’est le premier contact de Rachid avec la photographie. Après avoir occupé le poste de fonctionnaire à la maison de la Culture de Batna, Rachid Hamatou enseignera la langue française mais aussi la photographie à l’École des Beaux-arts de Batna. Après avoir été photographe de presse à l’hebdomadaire «El Aurès», il a été correspondant photographe pour les quotidiens «El Watan» et «Le Matin», «Liberté», et « Reporters ». Rachid a participé à plusieurs expositions, et ce, depuis les années 1980. D’ailleurs, sa première exposition remonte à l’année 1980, à Tizi Ouzou, dans le cadre d’échanges interwilayas (Djurdjura/Aurès). Il exposera plusieurs fois en France (à Marseille, son exposition s’intitulait «Mon Pays», et à Barcelone, elle a porté sur les Aurès), où il séjournera durant 4 ans.


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