Riccardo Nicolai : « L’aventure de mon ami Ali Bitchin est fascinante »

Dans cet entretien, l’écrivain italien Riccardo Nicolai (1) revient sur son nouveau roman, Io, Emmanuel, servitore di Ali Piccinin (éditions Ali Di Carta Libreria), paru hier en Italie, et qui explore, une fois de plus, le parcours d’Ali Bitchin. Le récit débute avec sa mort, et nous est transmis par Emmanuel, qui aidera Lallahoum et Chalabi à s’échapper d’Alger à destination de Massa. Io, Emmanuel, servitore di Ali Piccinin est le troisième roman que consacre Riccardo Nicolai à l’esclave italien originaire de Massa, adopté par son maître et converti à l’islam, et qui « grimpe très vite dans la hiérarchie des Janissaires, et devient le ‘Lion des mers’ qui écumera la Méditerranée » (2), et ce, après Ali Bitchin, pour l’amour d’une princesse, paru en Algérie en 2017 aux éditions Koukou (et qui a également fait l’objet d’une adaptation théâtrale présentée en Algérie en novembre 2018), et le roman pour jeunesse, Ali Bitchin –Amour et magie de la Méditerranée, paru en Algérie en mai 2019 aux éditions Chihab.

Votre nouveau roman, paru hier en Italie, prolonge votre travail entamé il y a plus de dix ans sur la personnalité et le parcours d’Ali Bitchin. Pourriez-vous revenir, même brièvement, sur ce nouveau texte, qui commence à la suite de la mort sa mort, en 1645, et qui se déroule entre Alger et Massa ?

  • Riccardo Nicolai : Ali Bitchin était un corsaire redoutable, et un mari prévenant et affectueux, comme le confirme son épouse Lallahoum. C’est son esclave, Emmanuel, le protagoniste principal et la voix narrative du roman, qui nous le confirme aussi, et nous peint Ali Bitchin comme un homme de parole, fidèle à ses principes. A partir de la mort d’Ali, qui coïncide avec la fin du premier roman, je me suis posé un certain nombre de questions, notamment qu’est ce qui était arrivé à sa femme et à son fils, Chalabi ? Qui lui a succédé à Alger ? Qu’ont été les actes terribles des janissaires à l’encontre de la famille ? Et, en fait, j’ai trouvé la réponse dans le récit d’Emmanuel d’Aranda.

Qui était Emmanuel d’Aranda ?

  • Dans mes recherches, et parmi les documents qui traitent de la vie d’Ali, j’ai retrouvé un mémorial écrit par Emmanuel d’Aranda, bourgeois de Bruges. Il était un esclave qui fut acheté par Ali Bitchin, en 1640, et qui vivait dans son bain à côté de la mosquée. Dans son texte, il parle fréquemment de son maître, il dialogue avec lui et avec sa femme Lallahoum, et il connait le nouveau-né Chalabi Bitchin. C’est à partir de ce moment que j’ai eu la sensation qu’Ali était né à nouveau : j’ai entendu sa voix, et surtout, j’ai apprécié sa grandeur morale. A travers le récit d’Emmanuel d’Aranda, j’ai découvert qu’en Ali cohabitaient deux types de personnalité : à l’arrogance publique s’opposait une délicatesse intime, qu’il manifestait à sa femme et ses amis proches. De plus, j’ai appris qu’il était un homme de parole. Emmanuel, devenu ami de la famille sauvera la veuve Lallahoum et le petit Chalabi, et organisera une fuite rocambolesque qui les conduira, tous trois, vers la principauté de Massa, la terre natale d’Ali, où vit encore sa famille.

« La première fois que je suis venu à Alger, en octobre 2015, j’ai ressenti une très forte émotion. Je me suis imaginé Ali ; je me promenais dans la Casbah nuit et jour ; j’imaginais ce qu’il aurait fait, lui, s’il était à ma place. Je me levais chaque matin à l’aube, et je sortais à la recherche de son esprit, des traces de son passé. »

Plus généralement, et pour lui avoir déjà consacré deux romans (Ali Bitchin, pour l’amour d’une princesse et un roman jeunesse) Qu’est ce qui vous a intéressé dans la personnalité et le parcours d’Ali Bitchin ?

  • Personnellement, j’admire son parcours de vie, son courage et son esprit de résilience. La première fois que je suis venu à Alger, en octobre 2015, j’ai ressenti une très forte émotion. Je me suis imaginé Ali ; je me promenais dans la Casbah nuit et jour ; j’imaginais ce qu’il aurait fait, lui, s’il était à ma place. Je me levais chaque matin à l’aube, et je sortais à la recherche de son esprit, des traces de son passé : la mosquée Ketchaoua, Dar Aziza, Sidi Ramdane, Palais des Raïs, mosquée Ali Bitchin, Penon, Bab Azzoun, Bab El Oued, le souk… C’est dans ces endroits-là que j’allais le chercher et c’est toujours en ces lieux que je le retrouvais.

Qu’est ce qu’il incarne, selon vous ?

  • L’histoire d’Ali Bitchin est un patrimoine commun entre l’Algérie et l’Italie. Le Pacha Ali Bitchin représente un cas fréquent dans la Méditerranée de son époque, il demeure cependant un cas unique. Ali, un enfant de dix ans, kidnappé par les barbaresques, devenu amiral et chef de la corporation des Raïs, n’a jamais oublié sa terre, sa famille et ses compatriotes. Il est lui-même intervenu pour la libération de deux hommes de Massa et d’une femme de Carrare. Aujourd’hui, Ali Bitchin n’a reçu qu’un peu de reconnaissance, je pense que beaucoup de choses restent à faire. En tout cas, l’aventure de mon ami Ali Bitchin est fascinante, je l’admire, je le considère comme un ami à moi. Pour cela, j’ai un projet important à proposer pour ne jamais l’oublier. Ali Bitchin vit toujours.

Quel est ce projet ?

  • La mosquée Ali Bitchin a été construite en 1622, donc en 2022, elle fêtera ses 400 ans ! J’ai préparé un projet qui prévoit une semaine de célébrations : conférences, débats, pièces de théâtre, concerts. Ici à Massa, les artistes sont déjà prêts. Ali Bitchin est toujours vivant !

Sara Kharfi

(1) Riccardo Nicolai présentera son livre, le dimanche 28 juin à 19h à Massa. Il fera un direct sur son compte facebook.

(2) Extrait de la quatrième de couverture d’Ali Bitchin, pour l’amour d’une princesse, roman traduit de l’italien par Karim Metref.


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