« EL HALLOUF » de la coopérative CHORALE de Sidi Bel-Abbès : De l’emprise de la peur

*Cet article a été publié le jeudi 6 février 2025 dans les colonnes du quotidien « El Moudjahid » dans une version raccourcie. Voici la version intégrale :

« El Hallouf », première production de la coopérative théâtrale Chorale pour la culture et les arts de Sidi Bel-Abbès, a récemment été présentée à Saïda dans le cadre de la compétition des premières Journées nationales du Duodrame, un événement dédié au théâtre à deux personnages organisé du 30 janvier au 2 février. Cette œuvre écrite et mise en scène par Ahmed Ben Khal a  attiré l’attention du jury et du public par son approche audacieuse et sa profondeur thématique, ce qui lui a valu trois distinctions lors de cette compétition : meilleure interprétation masculine, meilleur texte et meilleure mise en scène.

Portée par le duo de comédiens Ahmed Sahli et Samir Boubarka, « El Hallouf » est une création alliant humour et gravité, interrogeant avec finesse la nature humaine et les dédales de la pensée. C’est une réflexion théâtrale sur la dualité de l’homme, mettant en scène deux personnages aux personnalités diamétralement opposées. Tout au long de leur périple vers une partie de chasse, ils s’affrontent dans des dialogues où se croisent leurs visions contrastées du monde, explorant des thèmes légers et des réflexions plus profondes sur l’existence.

Dans cette errance philosophique, l’attente du sanglier, qui refuse obstinément de se montrer tout en étant une menace omniprésente, devient un prétexte pour déclencher une série de confrontations verbales. Entre illusions et vérités, idéaux et réalités, les échanges des protagonistes traduisent la complexité des choix et des chemins que l’homme emprunte dans la vie. Peu à peu, la chasse cède le pas à une quête plus vaste, celle d’une recherche intérieure, et la forêt dans laquelle ils se perdent devient un labyrinthe mental où les certitudes vacillent. Plus le temps passe, plus les repères s’effacent, et plus la route devient incertaine.

Mais souhaitent-ils vraiment sortir de cette forêt ? Le danger est-il tangible ou simplement le fruit de leur imagination ? Le sanglier existe-t-il vraiment ou n’est-il qu’un symbole des peurs qui les hantent ? Les deux personnages existent-ils vraiment ou ne sont-ils qu’une construction mentale d’une âme en souffrance ? Autant de questions laissées à l’interprétation du spectateur. Profondément philosophique et remarquablement écrit, « El Hallouf » réfléchit sur le pouvoir du mental et l’emprise de la peur. Car souvent, la peur du danger est bien plus redoutable que le danger lui-même.

L’univers scénique, épuré mais chargé de sens, vient renforcer cette atmosphère d’attente et d’angoisse. Un décor minimaliste, traversé de cordes tombant du plafond comme autant de barreaux invisibles, symbolise l’emprisonnement psychologique des personnages. Les jeux d’ombres et de lumières accentuent cette tension, jouant sur le clair-obscur pour illustrer la frontière trouble entre la réalité et l’illusion. Quelques sacs de terre disposés ça et là plongent immédiatement dans l’univers oppressant de la forêt. Tous les éléments scéniques et textuels convergent vers une seule et ultime question : et si la véritable chasse n’était pas celle du sanglier, mais celles des personnages eux-mêmes ?

Sara Kharfi


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