Dans le cadre de la 15e édition du Festival du Théâtre Arabe, qui s’est déroulée du 9 au 15 janvier 2025 à Mascate, capitale du Sultanat d’Oman, un symposium de deux jours a été organisé, les 12 et 13 janvier à l’hôtel Radisson Panorama. Intitulé « Le théâtre et l’intelligence artificielle : les points de tension entre velléités de domination et révolution de la créativité humaine », cet événement a réuni des universitaires, des chercheurs et des praticiens du monde arabe ainsi que des experts venus de Chine. Ensemble, ils ont partagé leurs expériences et réflexions sur l’utilisation de la technologie dans les arts scéniques, explorant les opportunités et les défis qu’elle représente.
Les intervenants ont souligné que l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies ne doivent pas être perçues comme des substituts à la créativité humaine, mais plutôt comme des outils complémentaires. Ces technologies apportent des solutions pratiques, plus rapides, en facilitant la création artistique et en permettant, dans certains cas, une interactivité avec les publics. Cependant, l’éthique de leur utilisation a constitué une question centrale tout au long des échanges, avec un consensus général sur le fait que l’IA ne doit jamais prendre la place de l’intelligence humaine, mais plutôt la soutenir. L’esprit humain reste indispensable pour la conception, la direction et la théorisation des créations.

Lors de la conférence inaugurale, intitulée « La zone grise entre la créativité humaine et l’intelligence artificielle », Dr Oussama Ladhqani (Syrie) a exploré les défis des interactions entre théâtre et IA. Il a affirmé que « l’intégration de la technologie et de l’intelligence artificielle dans le théâtre est devenue une nécessité inévitable qui ouvre de nouvelles perspectives pour des expériences artistiques et créatives ». Selon lui, bien que l’IA offre des possibilités inédites pour repenser la scène, elle ne doit pas éclipser la créativité humaine. Pour Ladhqani, la question éthique est primordiale afin de garantir que l’IA reste un outil qui amplifie la créativité tout en respectant les valeurs fondamentales de l’humanité.
La technologie au service de l’humain
La deuxième partie de cette session inaugurale a porté sur les applications pratiques de la technologie dans le théâtre. La projection vidéo de la pièce « Contrast » (Syrie) s’inscrivant dans le registre du théâtre visuel, écrite par Samer Mohamed Ismaïl et mise en scène par Adham Safar, a illustré l’utilisation innovante de la technologie dans la narration théâtrale. 17 minutes durant, le public a pu découvrir comment la technologie numérique permet de repousser les frontières de la création, tout en soulignant le défi que représente cette fusion entre l’art et la machine. Au cours du débat, qui a particulièrement porté sur les techniques utilisées et les modes d’écriture, l’auteur a indiqué que l’écriture de ce spectacle a été un véritable défi, ayant procédé à une « réécriture continu ».

La première session du symposium, présidée par le scénographe Dr Hamza Djaballah (Algérie), a exploré l’usage de l’IA dans la conception des décors, des lumières et des costumes. Dr Mohamed Réda Tessouli (Maroc) a expliqué les divers outils numériques permettant d’enrichir la scénographie (costume, lumière, décor) tout en préservant l’essence de la créativité humaine. En parallèle, Dr Imad Khafadji (Irak) a détaillé l’usage de la lumière et des technologies numériques dans la conception théâtrale, montrant comment l’interaction visuelle sur scène peut être enrichie.
Masque Vitruve et la scénographie numérique

Aymen Sharif (Jordanie) a présenté son innovation passionnante : le masque Vitruve, dont le nom a été inspiré par l’architecte et théoricien de l’antiquité romaine Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio), qui a posé les bases de la scénographie. Aymen Sharif est revenu sur l’évolution de la scénographie puisque c’est de son histoire qu’il a puisé son inspiration pour créer ce masque qui a été conçu comme un moyen d’exercer les comédiens à l’improvisation. Ce masque intègre des technologies numériques et de l’Internet des objets pour permettre aux comédiens de créer des scènes scénographiques en temps réel. Le masque, équipé d’un dispositif sans fil, envoie des signaux à des projecteurs vidéo en fonction des mouvements du comédien sur scène, rendant chaque performance unique. Cette innovation ouvre de nouvelles possibilités pour l’improvisation, la création interactive et la performance théâtrale.
Une autre présentation marquante a été celle des Jordaniens Wissam Katawna et Hassan Hinna, créateurs d’un hologramme de 7 minutes d’Oum Kalthoum en 2013. Aujourd’hui, leur travail a évolué, avec un hologramme de 90 minutes, et ils ont démontré comment la technologie des hologrammes peut non seulement raviver des moments historiques, mais aussi redéfinir l’expérience théâtrale du futur. L’hologramme, qui permet de projeter des images numériques sur des écrans invisibles, fusionne le monde virtuel et la réalité, créant un espace où l’imaginaire et le réel coexistent.

L’importance de l’innovation et de l’adoption des technologies de pointe dans le théâtre a également été un sujet central des interventions des experts chinois Liu Feng Shu et Guo Jin Xin. Liu Feng Shu a présenté sa propre expérience en explorant l’impact de la lumière et de la création dans le domaine, tandis que Guo Jin Xin a abordé l’évolution du théâtre par rapport à la technologie au cours des deux dernières décennies, soulignant de quelle manière l’IA a profondément modifié le travail technique rendant certains logiciels obsolètes, mais ouvrant, dans le même temps, de nouvelles perspectives.
En somme, le symposium a permis de réaffirmer que si la technologie ouvre des horizons créatifs fascinants et prometteurs, il est primordial de veiller à ce qu’elle reste un outil au service de l’humain et non un substitut à l’intelligence et à la créativité humaines. La réflexion sur l’équilibre entre l’innovation technologique et la préservation des valeurs humaines est indispensable pour garantir que l’IA enrichisse l’art théâtral sans compromettre l’essence même de la créativité. L’avenir du théâtre repose, peut-être, sur cette capacité à intégrer la technologie tout en préservant l’intégrité artistique et humaine.
Sara Kharfi
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