Marie Cosnay était en Algérie pour mener des recherches sur un projet de livre en cours d’écriture – Le livre en question est « IF » et il est sorti en 2020 aux éditions de l’Ogre –, dans le cadre du programme Stendhal (de l’Institut français) dont elle est une des 12 lauréats de l’année 2018, et qui «soutient des auteurs de langue française dont le projet d’écriture justifie un séjour à l’étranger d’une durée d’un mois minimum».
Elle a également animé, au cours du dernier Sila, une rencontre sur le stand de l’Institut français, durant laquelle elle est revenue sur sa traduction des «Métamorphoses» d’Ovide (éditions de l’Ogre), qui vient de recevoir le Prix Belles-Lettres de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, et ce, après avoir remporté en 2017, les prix Nelly Sachs et Bernard Hoepffner.
Dans cet entretien, l’écrivaine et traductrice revient sur son projet d’écriture, sur ses autres projets et sur son travail de traduction.
[Entretien réalisé par Sara KHARFI]
- Pourriez-vous revenir sur le projet d’écriture pour lequel vous êtes venue à Alger ?
Marie Cosnay : C’est un projet d’écriture que, concrètement, j’ai commencé à écrire il y a deux ans, mais qui en réalité se travaille depuis bien plus longtemps. J’ai renoncé à me poser la question de la raison, je n’aurai jamais la réponse, mais j’ai toujours imaginé, j’ai toujours pensé que je viendrai en Algérie. Il y a très longtemps, j’ai rencontré un homme qui est devenu mon mari dans une très courte période de ma vie, on a eu un enfant, et cet homme est né ici en Algérie. Et on ne sait rien sur lui : son nom, son père, son histoire. Je suis en plein travail et finalement, c’est autant un travail sur l’histoire que sur une trajectoire, sans juger un individu, mais en essayant de l’installer dans ses contradictions, ses douleurs. Sans volonté non plus de réhabilitation ou de dénonciation, mais juste essayer de comprendre une trajectoire qui forcément prise dans l’histoire complexe est complexe.
- Il y a un autre travail que vous faites et qui est plus immédiat…
Je vis au Pays basque à la frontière entre l’Espagne et la France. La ligne Bilbao, Irun, Hendaye, Bayonne, Biarritz, depuis maintenant plusieurs années, mais surtout depuis deux ou trois mois, est empruntée par les migrants subsahariens. Ces migrants, cela fait à peu près deux ans années que je les rencontre de manière régulière, militante aussi et accueillante à cette frontière, et ils racontent leur expérience antérieure sur les routes. Et, pour ceux que je connais, des Guinéens et des Camerounais, ils sont notamment passés par Alger et ils ont travaillé sur les chantiers. Et du coup, je voulais aller sur cette route pour plusieurs raisons, celle qui est de comprendre, non pas les raisons de partir, mais documenter cette route-là pour donner à savoir, y aller pour les gosses qui sont chez moi, pour donner une autre idée de l’Algérie. Les traumatismes se focalisent sur des endroits phares et dans les endroits phares il y a Alger et les chantiers. L’image qu’ils ont de cette expérience-là ce sont des souvenirs douloureux. Ça se concrétise par des discours super violents, je voulais d’autres témoignages, d’autres sons de cloche. Je crois à l’expérience, au vécu et au ressenti, je ne mets pas en doute ce qu’ils ont ressenti, mais ce n’est pas possible que ce soit aussi manichéen. Je tente aussi d’essayer de comprendre cette question-là.
- Concrètement, ces deux projets donneront-ils des livres ?
Pour le premier, c’est sûr, c’est un livre. De toute façon, j’ai déjà commencé, c’est mon projet d’écriture pour le moment. C’est une sorte de roman des origines, d’enquête, une fiction documentaire – je ne sais pas comment on va l’appeler – qui va interroger le rapport d’un côté et de l’autre, la France et l’Algérie, Bayonne et Alger et Annaba aussi. Pour le deuxième projet, ça ne donnera pas forcément un livre. Depuis plus de dix ans maintenant, j’écris sur les migrations, et quand j’écris, il faut que certaines conditions soient réunies. C’est une démarche plutôt personnelle, je fais des chroniques aussi mais ce sont des élans. A chaque fois que j’ai tenu chronique, je participe. C’est de l’observation participante, parce que je suis bouleversée, changée par l’expérience.
- Vous avez animé une rencontre durant le Sila où vous avez évoqué votre traduction des «Métamorphoses» d’Ovide. Comment est née cette traduction ?
Comme à chaque fois que je fais quelque chose, je n’ai pas forcément le projet de le terminer, c’est-à-dire que j’ai besoin que ce soit en mouvement. De la même manière, «Les Métamorphoses» c’est long et du coup, j’étais contente parce que je n’avais pas un terme en fait, je ne me disais pas il faut que je travaille dans l’optique de terminer ça, il n’y avait pas un terme à mon travail. Donc j’ai fait petit à petit, un peu tous les jours, beaucoup grâce et avec mes élèves, parce que c’est pour eux au début que j’ai traduit. En fait, j’ai beaucoup de mal à faire des choses qui soient décollées du contexte, il faut qu’il y ait un contexte, or pour cette traduction, le contexte était là. C’est un projet qui a pris dix ans parce qu’entre temps, j’ai écrit d’autres livres. Pour Ovide, il y a des traductions d’Ovide et il y a notamment une traduction de Danièle Robert publiée chez Actes Sud. A part celle-là qui date de 2001, toutes les autres ne s’étaient pas posées la question de la littérature, elles s’étaient posées la question de la transmission du contenu, donc qu’est ce que ça dit et non comment c’est dit. Personne ne parle le latin d’Ovide ! Et donc mon travail était de tenter de donner un équivalent en français de cette construction littéraire nouvelle.
- Vous avez traduit en vers libres, comment cette construction s’est imposée à vous?
J’ai traduit en vers libre parce que j’ai renoncé à l’hexamètre dactylique qui est un vers pour le latin de l’époque d’Ovide ; toute l’Antiquité a écrit en hexamètre dactylique (rythme : une longue deux brèves six fois). Nous, en français, on n’a pas tellement l’accent tonique, on ne l’entend pas, donc pour moi ça ne servait à rien de tenter de retrouver ce rythme de l’hexamètre. J’ai abandonné et j’ai fait le pari de la syntaxe en revanche, où commence une phrase et où elle se termine, l’emplacement du verbe (en général à la fin en latin et s’il n’est pas à la fin ça dit quelque chose), les rejets, les contre-rejets, les anaphores, tout ce qui est allitération, etc., et tenter de tenir compte de tout ça et faire en sorte que ce respect-là produise du rythme. Et très vite, j’ai eu l’impression que je trouvais quelque chose, donc j’ai poursuivi avec plaisir.
- Vous avez aussi deux livres qui sortent au printemps.
Il y a un livre qui va sortir chez Fayard au printemps et j’espère que je pourrais venir en parler à Alger ; ça s’appelle «Les enfants de l’aurore», ce sont trois histoire, l’une qui met en scène un personnage qu’on trouve au Livre X d’Homère qui s’appelle Rhésos, après il y a le fils de l’aurore, et le troisième c’est Achille. Il y a un autre livre qui interroge les mêmes choses mais pas du point de vue de la narration, c’est un essai qui sortira chez Stock. C’est une correspondance avec le philosophe Mathieu Potte-Bonneville qui va s’appeler normalement «Voir venir – éthique de l’accueil et politique de l’écriture».
S. K.
*J’ai publié cet article, que je reproduis ici, dans les colonnes du quotidien « Reporters » (quotidien national d’information), le 09 décembre 2018.
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