Selma Guettaf, autrice du roman « Les Hommes et Toi » : « Il y a d’abord cette recherche de l’autre »

Paru initialement en Algérie aux éditions APIC, en 2016, « Les Hommes et Toi » de Selma Guettaf été réédité récemment en Belgique, aux éditions Most. Histoire d’un frère et d’une sœur qui se déchirent, se séparent, se retrouvent… et qui cherchent leur place dans la vie de l’un et de l’autre, et dans un monde qui a les éprouvé, « Les Hommes et Toi » est un récit, à la fois libre et bouleversant, mettant en scène deux êtres sensibles, qui aspirent à se retrouver et à (re)trouver goût et sens à la vie. Ils essaient également de faire le deuil de leurs parents. Dans cet entretien, Selma Guettaf évoque, avec amour et empathie, ses personnages, et son univers romanesque.

[Entretien réalisé par : Sara KHARFI]

Algérie Littéraire : Qui sont Nihed et Rayane, les personnages principaux du roman « Les Hommes et Toi »? Qu’est ce qu’ils incarnent ?

Selma Guettaf : D’abord, Nihed et Rayane sont frère et sœur, et je pense que c’est cela le plus important dans ce roman. C’est cette particularité d’explorer ce lien-là, dans un espace familial où les parents sont absents, où l’on redevient presque enfant dans certaines situations, et puis dans d’autres où l’on est très adultes. Chacun essaie de trouver sa place dans un environnement familial et dans cette relation intime qui les unit. Et puis, oui, peut-être qu’à travers ce roman, j’exprime aussi leur place dans ce monde.

Nihed et Rayane ne cherchent-ils pas l’amour finalement, loin des conventions sociales, du poids du passé (relatif aux deux personnages mais aussi d’un pays), et des assignations ?

Il y a d’abord cette recherche de l’autre, donc du frère ou de la sœur avant tout, c’est-à-dire d’accepter l’autre comme il est. C’est avant tout cette relation-là dans sa construction, dans ses interrogations, dans ses doutes, etc. Donc on est quelque part dans l’amour de façon général ; l’amour c’est un sujet vaste. Vient dans le roman ensuite le questionnement des relations amoureuses et leurs possibilités : est-ce que cela est possible dans notre société ou alors ça ne l’est pas ? Donc l’impossibilité, en fait, de penser une relation amoureuse, de l’envisager…

Nihed intériorise ses émotions alors que Rayane est plus expansif… L’un semble être le reflet de l’autre… Comment as-tu construit cette relation fusionnelle entre un frère et une sœur?

C’est d’abord penser à leur relation, mais aussi penser comment est chaque personnage individuellement, avant de penser au reste, avant de penser à la narration, au style, au cadre spatio-temporel. C’est vraiment imaginer comment le personnage interagit, comment il pense sa place dans le monde, donc c’est d’abord cette imagination-là en fait ; penser le personnage, et c’est ça qui va ensuite me donner l’impulsion de l’écriture.

« Les Hommes et toi » n’est-il pas aussi un roman sur la filiation?

Probablement. En tout cas, je constate qu’on le perçoit comme tel, donc ce n’est pas rien, ça révèle forcément la réception que l’on fait de ce livre, comment il est interprété, qu’est ce qui retient l’attention chez les lecteurs, donc c’est très intéressant pour moi, et j’ai envie de dire, tant mieux si ce roman amène à réfléchir quelque par les rapports familiaux.

J’ai lu il y a quelques mois le roman « Minuit à Alger » de Nihed El-Alia (un pseudonyme), et en vous relisant (j’ai lu votre roman à sa sortie en Algérie), je n’ai pu m’empêcher de trouver des liens et de faire des rapprochements entre vos personnages et ceux de ce roman. Dans ce dernier, le personnage principal n’arrive à faire son deuil de la perte d’un être cher et s’autodétruit en reproduisant continuellement le même schéma. Vos personnages par contre essayent de s’en sortir… Ils semblent plus forts lorsqu’ils se retrouvent… Malgré les drames, les épreuves et la douleur, quelque chose se « répare »… En fait, dans ton roman, j’ai eu l’impression qu’il y avait aussi beaucoup d’espoir…

C’est intéressant ce rapprochement que tu opères. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire ce roman mais je trouve ça formidable quand dans la littérature, il y a des connexions comme ça, et ça m’intéresse beaucoup ce que tu dis, et donc en même temps, tu soulignes cet aspect de l’autodestruction mais en même temps tu dis que dans « Les Hommes et Toi », où tu le soulignes bien, il y a cet espoir qui renaît quand les personnages se retrouvent parce que tout est construit autour de ça en effet. Leur force et peut-être aussi la force de ce récit est cette union sœur et frère, c’est vraiment le cœur du récit, le moteur même de mon écriture. En tout cas, dans tout ce que tu dis, tu soulignes bien la construction de ce roman.

Comment est né ce roman? De quoi voulais-tu parler au tout début?

Vraiment tout ce qu’on a dit jusqu’ici, une sœur et son frère, donc cette relation, mais aussi comment chacun vit aussi, comment il affronte les épreuves de la vie, puisqu’en effet, ils se retrouvent à vivre ces choses. Nihed, en tant que femme, ça m’intéressait beaucoup de la développer avec son caractère, sa marginalité, et comment elle revendique un peu « sa brutalité », et Rayane est aussi très différent, donc c’était très inspirant pour moi ça aussi. Donc comment ils vivent un deuil, comment ils retrouvent par moment écrasés par ce qu’il leur arrive, et comment dans d’autres situations ils arrivent à avancer ? Le voyage de Nihed était très important pour moi aussi, comment elle tente de se reconstruire ailleurs, c’est une question très importante dans ce livre ; l’ailleurs n’est pas envisagé par Rayane, en tout cas pas de la même façon que Nihed, il ne peut pas beaucoup s’éloigner, il ne veut pas vivre cette expérience-là d’être étranger quelque part. Pour Nihed, c’est différent, puisqu’elle n’a pas forcément cette peur, ces angoisses ou cette très grande sensibilité, enfin sa sensibilité s’exprime autrement, et donc se perdre pour ensuite revenir et aussi avoir peur de comment on va la voir ; elle anticipe un peu comment elle sera accueillie…

Ce roman a paru en Algérie en 2016, et est paru en 2022 chez Most. Tu as procédé à sa réécriture, pourquoi? Et, comment tu as vécu cet exercice?

Une réécriture oui et non, pas tout à fait. Ce n’est pas une réécriture de l’ensemble récit, puisque l’éditeur justement aimait beaucoup ce récit, mais plutôt l’occasion de réévaluer le texte, après un certain nombre d’années, et des choses que j’aimerais moi surtout retravailler un peu, plus sur le plan du style au final. Et puis c’est vrai que l’idée de mon éditeur, c’était d’approfondir les moments intimes qui rassemblent Rayane et Nihed. La préface de Catherine Belkhodja c’est l’éditeur qui trouvait plus pertinent, plus fort d’avoir les mots de Catherine Belkhodja en quatrième de couverture.

Pourrais-tu revenir, même brièvement, sur ton parcours?

Mon parcours il est à la fois littéraire et autre, puisque j’ai toujours été dans la littérature et cherchant d’autres collaborations, allant vers d’autres disciplines, donc j’écris des romans, mais je collabore aussi avec des médias, avec des personnalités du web. On réfléchit à des performances artistiques aussi par moment, notamment dans l’association que j’ai rejointe il y a quelque temps, « Le Soft », et j’anime également des ateliers d’écriture.

S. K.

Bio express (de l’éditeur)

Selma Guettaf a suivi des études de lettres en Algérie et en France. Elle se consacre par la suite à des recherches en sociologie du cinéma et travaille dans le journalisme, le documentaire et le théâtre. En parallèle, elle poursuit ses travaux dans la création littéraire. Son roman « Les Hommes et Toi » a été publié une première fois en Algérie et a été sélectionné pour le Prix Senghor 2017


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