Lecture du roman «Archéologie du chaos (amoureux)» de Mustapha BENFODIL  

Je reçois aujourd’hui Sara Ben (BENZINA), qui propose une lecture d’un des livres du journaliste et écrivain Mustapha BENFODIL. Il s’agit du roman « Archéologie du chaos (amoureux) », paru en Algérie en 2008 aux éditions Barzakh. Dans son texte, Sara BENZINA met l’accent sur l’originalité de la forme et la pertinence du propos, tout en célébrant la singularité de l’écriture de cet auteur, qui a reçu en 2020, le Prix Mohammed-DIB pour son roman « Body writing ». 

[Par Sara BEN (BENZINA)*]

Le roman algérien d’expression française a connu (et continue de connaître) de grands écrivains, et il a été traversé par différents courants, connaissant différentes transformations. Après une décennie sanglante, il a connu aussi un nouveau souffle, d’autres formes esthétiques. Ce qui caractérise cette écriture novatrice est « le symbolisme des personnages » afin de peindre un tableau sur l’Algérie contemporaine.

La singularité de cette production romanesque s’inscrit dans la façon de narrer, de refléter la condition humaine. Chaque écrivain essaie de repérer un fragment à sa propre manière. Elle est introspective modernisant le mécanisme de cette écriture. La fiction de cette période de l’après-urgence est considérée comme une production atypique, polémique et complètement éclatée. Les romanciers ont eu pour objectif de renouveler la langue et se libérer des convenances classiques. Parmi ces explorateurs « littéraires » qui ont émerveillé le lecteur par de nouvelles facettes narratives: Mustapha Benfodil. Les œuvres de cet auteur exceptionnel est une invitation au festin littéraire. Lire Benfodil c’est permettre de goûter à tous les mets dans un seul plat !

La singularité d’une écriture

Parmi ces romans singuliers, aussi originaux que surprenants, nous avons choisi une œuvre qui s’intitule « Archéologie du chaos (amoureux) », paru en 2008 aux éditions Barzakh. Au fil de sa lecture, nous assistons au désenchantement de la jeunesse post-guerre fratricide. Nous souhaitons, avant de nous plonger dans les méandres de ce texte « délicieux », faire un parallèle entre deux citations, qui se font écho et complètent notre propos sur le rôle de la littérature. La première est celle de la grande écrivaine Maïssa Bey, qui écrit dans son roman « Hiziya » : « La littérature est forcément le reflet de la société dans laquelle elle émerge, elle se fait l’écho, parfois malgré elle, des rêves, des frustrations, des cris des hommes et des femmes de cette société. » La seconde citation est celle de Mustapha Benfodil lui-même, qui a déclaré que son roman – l’objet de notre étude ici – « questionne l’inconscient à travers une galerie des personnages qui ne se reconnaissent ni dans le paradigme révolutionnaire de gauche, ni dans le projet insurrectionnel du FIS , et qui se réclament d’une sorte d’anarchisme artistique au point de se baptiser  ‘Les Anartistes’ ».

Mustapha Benfodil en mars 2022 lors de sa participation au 25ème Salon international du livre d’Alger (SILA).

A travers ce texte protéiforme où s’emmêlent trois intrigues incarnées par trois narrateurs qui symbolisent l’Algérie contemporaine, nous percevons une société bouillonnante et labyrinthique.

Son œuvre dépeint divers thèmes tels que : la jeunesse émiettée, la violence sexuelle, le libertinage, etc. A travers cette œuvre aux accents excentriques, le romancier nous plonge dans une flaque du chaos, un monde sibyllin. Il nous invite à une fête hétérogène mouvementée par des différents registres et genres. Son écriture alambiquée est telle une pop-littérature qui mixe plusieurs tons et harmonies, annonçant la déconstruction de la langue Sa trame narrative tisse des nouvelles techniques ; un patchwork aux lignes italiques, droites ou graphiques.

Sur cette haute couture, il désigne des dessins, étale des slogans, des tags, des graffitis…, Benfodil nous donne à lire un roman affolant. Il est à la fois une peinture et critique impitoyable de l’inconscient de la sociopolitique en l’Algérie. Il pixélise, s’amuse, crée, éparpille la lecture dans trois morceaux de fiction invincible, sauvage et tumultueuse.

Un texte protéiforme à trois intrigues

« Archéologie du chaos (amoureux) » est un véritable désordre linguistique, sentimental, stylistique, sémantique, et ainsi un jeu de dés qui fait des personnages des figures aléatoires. Il transporte le lecteur dans un monde démesuré, inaccoutumé, transgressif et déséquilibré.

Couverture du roman.

Le roman explose plusieurs narrateurs. Il est à la fois un roman et carnet du bord sous forme d’un journal, qui représente le récit encadré tenu par le deuxième narrateur La deuxième partie est une sorte de journal intime qui nous immerge dans une enquête policière que tenait le troisième narrateur.

Le récit commence par le premier narrateur qui nous décrit les déboires de sa vie et sa jeunesse perdue. Il raconte ses souvenirs lamentables, ses expériences futiles, un amour libertin… A travers ce personnage, l’écrivain façonne une nouvelle langue (algérianisée), notamment par l’emploi des mots irradiants qui font partie de notre dialecte. Il forge un nouveau lexique.

Dans la première intrigue, Mustapha Benfodil met en scène le personnage de Yacine Nabolci, jeune homme beau, misogyne, absurde, amoureux, viril, libertin et séducteur. Il est l’incarnation du chaos dans le roman. Le deuxième narrateur Marwan K., ambigu, indéfini, emboîte le récit de Y. Nabolci. Nous assistons à un récit enchâssé présenté comme un journal intime que tenait ce personnage.

L’écriture en italique nous brouille les différentes pistes du parcours des personnages.

Cette écriture foisonnante, frénétique, sculpte une nouvelle technique narrative : « la polyphonie ». L’explosion de plusieurs voix énonciatives. Dans ce roman, nous sommes assaillis par un éclatement des genres et des discours.

Dans le troisième récit, le troisième narrateur s’appelle Kamel El Afrit. Il est un inspecteur de police judiciaire qui ouvre une enquête policière pour enquêter sur les circonstances de la mort d’un des personnages. A son tour, il nous relate des épisodes de sa vie professionnelle et familiale. Il griffonne des notes en relation avec son enquête, ce qui transforme le roman en un carnet du bord.

Benfodil boucle son roman par une partie qui s’intitule « Le manifeste du Chkoupisme », qui définit parfaitement un état de déliquescence et de pourrissement dans le pays ; un document écrit Marwan K. et retrouvé par l’inspecteur Kamel.

Par ailleurs, dans ce roman, l’auteur fait référence à d’innombrables figures littéraires (Jean-Paul Sartre, Kateb Yacine, Emmanuel Kant, Oscar Wilde, Alexandre Dumas, etc.)  Tous ces noms sont cités dans le but de rafraîchir la mémoire, découvrir la culture occidentale.  C’est un voyage, un périple gratuit et si amusant.

S. B.

Sara BENZINA est étudiante en Master2 Littérature générale et comparée (Université Alger 2). Elle est également étudiante en licence d’Espagnol, et enseigne le français au collègue. Elle publiera, prochainement, son premier recueil de poésie.


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