« Journal d’une jeune schizophrène » de Rabéa Douibi (éd. ANEP) : Une douloureuse descente aux enfers

Vue de l’extérieur, la vie des autres est toujours parfaite. Et vue de l’extérieur, la vie de Dounia était exemplaire : brillante étudiante (préparant doctorant en sciences politiques), journaliste (proche des préoccupations sociales), militante, sportive, croyante, et venant d’un milieu social favorisé… Dounia avait tout pour elle ! Mais la vie de cette jeune fille n’a pas été simple, son silence l’a détruite, et sa famille n’a pas su gérer son aspiration à la liberté et sa soif de vie.

Elle était brillante, intelligente et pleine d’énergie. Elle aimait Brel, Sartre et Nietzsche. Elle visait l’excellence dans tout ce qu’elle entreprenait, et c’est peut-être cela qui a contribué à la condamner à une existence solitaire. Elle s’appelait Dounia et pourtant la vie ne lui a pas fait de cadeau, même si elle a grandi dans une famille aisée et aimante, et en apparence unie. Un jour, Dounia est morte. En plein deuil, ses parents tombent sur son journal intime. Commence alors la découverte de la personnalité « révoltée » et « oppressée » de Dounia, sa part d’ombre et ses plus profondes blessures.

Le récit émouvant de Rabéa Douibi, « Journal d’une jeune schizophrène », paru aux éditions ANEP, raconte ce personnage sensible, à fleur de peau, qui a pris une radicale et douloureuse décision pour faire taire les voix dans sa tête et faire cesser ses souffrances. « Dounia a donné le meilleur d’elle-même durant le temps qui lui a été donné de vivre. Cette formidable fille s’est surpassé pour pouvoir asseoir durablement ses propres convictions » (p.81). Mais elle n’a pu s’adapter au monde. Elle n’a pas su faire semblant et renoncer à son « je », à son libre-arbitre et à son esprit critique.

Le livre est construit autour du journal intime de Dounia, et précisément autour de quatre témoignages. D’abord, celui d’Assia, la maman de Dounia – qu’elle surnommait « Maman douce » –, qui est la première à lire le journal intime de sa fille, et qui décide de le compléter par ses réflexions sur ce qu’elle y lit, sur ses rapports avec son aînée décédée et plus généralement, sur l’éducation de ses enfants et ses rapports avec son époux, Djamel. Ce dernier tombera par hasard sur le journal de sa fille, fera son mea culpa et décidera de réparer certaines de ses erreurs, ainsi que la plus grande injustice qu’a subi Dounia. Ce processus de guérison entamé par les parents de la jeune fille se prolongera lorsqu’Assia remettra le journal intime à la psy de la défunte, Mme. Diab, qui mettra à son tour des annotations et des remarques, tout en portant un discours sur la maladie mentale, qui demeure tabou. « Le témoignage direct de Dounia fait entendre la parole d’une malade et permet de déstigmatiser l’aliénation mentale, vécue comme une tare honteuse à cacher (…) Ce qui est intéressant dans cette leçon de vie, c’est le personnage central de cette histoire qui nous a tous déroutés » (p.69).

La quatrième et dernière partie du livre est consacré au témoignage de Dounia. Ce qui permet de saisir l’ampleur de la situation et d’entrer dans la tête de cette jeune femme en souffrance. Sa maladie, la soumission de sa mère, les excès de colère de son père, son horrible cousin Lahcene, et son encadreur qui l’a poussé à bout…ont, d’une certaine manière, isolé Dounia du monde. Ses symptômes se sont aggravés et elle a fait le choix du silence.

Rabéa Douibi réussit à entrer dans la tête de ses personnages et à transmettre leurs différentes et contradictoires émotions. Elle raconte l’aliénation mentale, le silence, l’isolement, la censure et le rejet de la société. Elle renvoie dos à dos tous les protagonistes. Il n’y a pas de coupable et pas de responsable dans les drames qu’a vécu Dounia, en même temps que tout le monde est coupable et tout le monde est responsable. Dans le récit, c’est par la communication et l’écoute au sein de la famille, et par l’éducation (l’école notamment) que les idées peuvent avancer et que les êtres pourront s’exprimer, briller ou sortir de leur isolement.

Sara Kharfi

  •  « Journal d’une jeune schizophrène » de Rabéa Douibi. Récit, 176 pages. Editions ANEP, Alger, 2021. Prix : 800 DA.

Quatrième de couverture

« Je ne pouvais ouvrir la chambre de Dounia depuis sa mort. C’est Aïcha ma bonne qui a tenu à la nettoyer et à ranger toutes les petites choses qui restaient (…) C’est en secouant le matelas qu’elle a senti un objet dur à l’intérieur de la housse. Il s’agissait du journal intime de Dounia. Un beau carnet en cuir cadenassé ! La découverte était un véritable choc pour moi. Je tenais les confidences de ma fille et caressait en pleurant les secrets qu’elle avait ensevelis avec elle. Je ne pouvais mettre fin aux sanglots qui secouaient mon corps chancelant… ».

Rabéa Douibi, née en 1957, est originaire de Bordj Bou-Arréridj. Titulaire d’une licence d’enseignement de la langue française et d’une maîtrise en didactique, elle est auteure de plusieurs ouvrages. Elle vit entre Tamanrasset et Alger.


En savoir plus sur Algérie Littéraire

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire