Roman historique captivant qui aborde, à la fois, l’amour et le pouvoir durant près d’un siècle dans une Andalousie en proie à la division, « Wallada, la dernière andalouse » de Sidali Kouidri Filali, publié en Algérie à compte d’auteur et disponible en librairie, réinvente un monde et pose des questions bien contemporaines sur une période trouble, marquée, tout de même, par un essor intellectuel, et qui a vu naître une des plus belles histoires d’amour de cette époque.
En l’an 1090 (présent du roman), au Palais du port à Cordoue, Wallada bint al-Mustakfi, vieille dame presque centenaire, raconte à sa servante Izza, sa gloire d’antan et celle de l’Andalousie. Actrice et témoin d’une époque, princesse omeyyade et poétesse andalouse incarnant la liberté, grand amour d’Ibn Zeydoun, amie des plus brillants intellectuels et penseurs de son époque, Wallada raconte la fin d’un règne et l’avènement d’une nouvelle ère, celle des Taïfas – qui allait prendre fin à l’aube d’un jour de l’an 1090. Wallada raconte la division, la discorde ; elle traverse près d’un siècle d’histoire, et décrit, à Izza, les luttes pour le pouvoir, les ascensions fulgurantes de personnages comme Samuel Ibn Naghrella ou Abu al-Waleed Ibn Zeydoun, les revers de l’histoire, et l’effondrement d’un monde, son monde.
Fille de Muhammad III et d’une « pauvre esclave grecque qui ne parlait pas un mot d’arabe, que des francs avaient offerte à [son] grand-père, et que [son] père avait épousée » (p.31), Wallada a été prise dans le tourbillon de l’histoire et dans les filets de l’amour. Elle ouvre son cœur à Izza et lui confie : « Je suis une femme seule qui s’est construite au milieu de tous ces hommes que tu connais. La dernière descendante debout d’une dynastie. J’ai donné ma vie pour ma liberté » (p.146). La poétesse a dû fuir Cordoue, à la suite de sa chute des mains du berbère Zawi Ibn Ziri, fondateur, plus tard, de la taïfa prospère de Grenade (qui deviendra sa capitale). La femme de lettres retournera à sa ville natale (Cordoue) et s’y établira, et sera notamment soutenue par Ibn Abdus, amoureux éconduit de la princesse et ministre d’Ibn Jahwar.
Comme le roman revient sur près d’un siècle d’histoire, « Wallada, la dernière andalouse » s’intéresse aux personnalités qui ont marqué ce temps, notamment Ali Ibn Hazm, auteur du célèbre « Le Collier de la colombe », qui entretenait une correspondance avec elle, mais aussi avec l’historien Ibn Hayane. Le parcours de ce dernier sera également raconté dans le roman, car « ce chroniqueur vivra, de l’intérieur l’implosion et la disparition de l’Andalousie unie. Témoin privilégié de son époque, il relatera plus tard, avec beaucoup de mépris, ces douloureux événements qu’il nommera ‘Fitna’ » (p.26). La trajectoire de Samuel Ibn Naghrella, rabbin occupant un des postes les plus importants au palais de Grenade, homme de foi et d’idées désintéressé, est aussi évoquée, ainsi que le règne d’Abbad, cadi puis émir de Séville, et de celui de ses fils dont El Motadid (Abbad II). Le focus sur la taïfa de Séville permet à Sidali Kouidri Filali de nous raconter l’histoire captivante de Khalaf, personnage semblant sortir tout droit d’un conte des « Mille et une Nuits », qui accepte de participer à une ruse des Abbad. Khalaf perd sa liberté, et au cours d’une confrontation avec El Motadid, il nous offrira une belle réflexion sur celle-ci : « La liberté d’être entier, expliqua Khalaf, avec conviction. La liberté d’exister et d’être qui je suis. Celle de côtoyer des gens, de croiser leurs regards. Celle où je gagnais quelques dirhams mais où je discutais, où je riais, où je m’appartenais. Une loque comme vous dites, mais être une loque qui s’appartient, c’est toujours mieux qu’être un calife pour autrui » (p.182).
En outre, « Wallada, la dernière andalouse » raconte les amours déçues et cruelles entre Wallada et Ibn Zeydoun, l’ambition et la jalousie de ce dernier, l’orgueil et le besoin viscéral de liberté de la poétesse. La princesse est l’incarnation même de la liberté, et une vie rangée n’aurait pu la satisfaire, elle qui était si indépendante et avait un si grand besoin d’amour et de passion. Un esprit libre et créatif ne saurait s’accommoder des convenances, des interdits et de la censure. D’ailleurs, elle dit à Izza au début du livre : « J’ai compris depuis que, devenir adulte n’est pas prendre de l’âge, mais s’éloigner de son enfance » (p.14), comme pour donner un sens – un de plus – à sa soif de liberté. Ibn Zeydoun ressemblait à Wallada, dans bien des aspects, mais son ambition a limité son autonomie, et son exercice du pouvoir – il est devenu ministre d’Ibn Jahwar, puis proche conseiller d’El Motadid – lui a appris le compromis et les concessions. Contrairement à son amante, qui est restée entière jusqu’au bout, fidèle à ses idées, ses idéaux et désirs.
Chaque chapitre du roman (33 au total), articulé autour d’un lieu et d’une date, nous invite à la réflexion sur l’histoire qui se répète continuellement (par exemple dans la structure du roman, le début et/est la fin), et sur le monde d’avant et celui d’après (présent du roman). Bien souvent, les discours se réadaptent au contexte mais les idées sont les mêmes : le pouvoir enivre ou rend fou, et l’histoire se souvient toujours des vainqueurs même si cette affirmation porte en elle un paradoxe, comme le rappelle Wallada à Izza : « C’est étrange quand on y pense, conclut Wallada. L’histoire est souvent le fruit de détails insoupçonnés. L’histoire est écrite par les vainqueurs, certes, mais ce sont souvent des anonymes qui la font » (p.179).
« Wallada, la dernière andalouse » est un roman (le premier) étourdissant de Sidali Kouidri Filali, qui raconte un contexte de grands bouleversements, un théâtre de toutes les divisions. Symboliquement, les « amants désunis » (Wallada et Ibn Zeydoun) sont la représentation de cette Andalousie qui implose. Il est bien évidemment difficile de ne pas faire le parallèle avec notre époque, tant la question du pouvoir demeure problématique et attrayante, et qu’il est toujours fascinant de comprendre ce qui est en jeu, en ce qui concerne la fin d’une époque. C’est le début de la fin dans le roman, mais l’auteur, qui nous offre de belles pages sur le pouvoir, l’amour mais surtout la liberté, dans un contexte de coexistence (qui peut sembler harmonieux mais qui ne l’était pas toujours), nous promet une suite. Nous l’attendrons avec patience !
Sara Kharfi
« Wallada, la dernière andalouse » de Sidali Kouidri Filali. Roman historique, 256 pages, édité à compte d’auteurs, Alger, 2021. Prix : 1100 DA.
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2 réflexions sur “« Wallada, la dernière andalouse » de Sidali Kouidri Filali : L’amour au temps de la discorde”