Samira Merbah : « Il s’agit d’un voyage intérieur, d’une exploration des tréfonds de l’âme humaine dans sa complexité »

« Confessions d’un écrivain pas tenté » est le premier roman de Samira Merbah, paru en 2018 aux éditions Casbah. Ce texte construit à la manière d’un « journal intime », avec un titre à chaque chapitre, s’intéresse à un personnage-narrateur tourmenté, qui rêve de devenir écrivain. Dans sa « quête » d’écriture et de sens, il se livrera, chaque fois un peu plus, à nous autres lecteurs pour faire son portrait et celui de sa conception de la littérature, en faisant des clins d’œil (comme des hommages) à de grands noms des Lettres. Dans cet entretien, l’autrice du livre, Samira Merbah, « se confesse » à son tour, en évoquant son personnage, ses thèmes et sa passion pour l’écriture.

Votre roman, « Confessions d’un écrivain pas tenté », paru en 2018 aux éditions Casbah, s’intéresse à un jeune homme de 27 ans, aspirant écrivain, qui se raconte/se confesse. Qui est ce personnage-narrateur et comment vous l’avez conçu ?

Samira Merbah :Il s’agit d’un jeune hommequi entreprend l’écriture de ce que l’on peut comparer à un journal intime, dans lequel il va tenter de brosser un portrait de sa personne, tout en relatant certains événements de sa vie passée et présente. Il va nous apprendre assez vite qu’il est atteint d’une maladie mortelle et que sa vie arrive bientôt à terme. Il justifie son exercice autobiographique par le fait qu’il ait toujours rêvé de devenir écrivain. En s’attelant à cette tâche, il vivra une sorte de parcours initiatique qui lui fera découvrir des aspects de lui insoupçonnés, mauvais comme bons. Il s’adresse au lecteur par un ton caustique, parfois cynique, au début à tout le moins, qui témoigne d’un personnage tourmenté et même révolté, il ne manque d’ailleurs pas de malmener un certain nombre de grands écrivains, dévoilant une jalousie à peine dissimulée, exacerbée par sa situation dramatique. En ce qui concerne le comment je l’ai conçu, même si le personnage est de pure fiction, il n’en demeure pas moins que certains traits de sa personnalité sont inspirés des miens auquel j’ai joint ceux d’autres individus que j’ai pu connaitre ou côtoyer ici ou là. Mon but étant que tout un chacun puisse trouver dans ce personnage des caractéristiques qui raisonnent en lui. Son rêve d’écrire, on peut s’en douter, est en tous les cas définitivement un décalque du mien.

Lire aussi, une fiction de Samira Merbah publiée sur ce blog.

Ce personnage, sans nom, est en proie à des questionnements existentiels et du coup universels. Il aurait pu être Algérien, Américain, Chinois ou autre, il est Belge en l’occurrence. Pourquoi avez choisi ce lieu particulièrement ? Est-ce parce que vous y avez vécu ?

C’est en effet un belge vivant précisément à Bruxelles, capitale Belge, mais aussi européenne. Ce serait tentant de dire que c’était un choix délibéré, il était plutôt fortuit. Ceci dit, si l’on tient compte de toutes les références culturelles et livresques qui sont déclinées dans le livre, il me paraissait plutôt commode et assez naturel d’en faire un francophonede souche, il aurait pu être d’une autre origine il est vrai, mais ayant moi-même vécu en Belgique de longues années comme vous l’avez mentionné, c’était un endroit de la planète que je connaissais plus ou moins, ce qui m’évitait des erreurs ou égarements malheureux, même si en somme, le lieu géographique n’est pas vraiment un élément majeur dans ce récit. Il s’agit avant tout d’un voyage intérieur, d’une exploration des tréfonds de l’âme humaine dans sa complexité. Ce serait donc plutôt elle le véritable lieu omniprésent du roman.

Plus généralement, quelle est, selon vous, la place du lieu en littérature ?

Je pense qu’un romancier ne devrait pas se voir apposer des frontières dans sa création. On peut noter qu’à l’ère de la mondialisation et de l’internet, les écrivains sont de moins en moins circonscrits à un lieu déterminé par leur vécu propre. Il est vrai que cela a été et est encore souvent le cas pour des raisons pratiques mais c’est de moins en moins vrai. Le phénomène qu’on peut remarquer c’est que le lieu en littérature est de plus en plus choisi en fonction du cadre qui correspond le mieux à la fiction transposée par l’auteur ou ce qu’il entend évoquer. Le monde aujourd’hui, nous parait de plus en plus petit, plus facile à appréhender grâce à l’abolissement des distances rendu possible grâce notamment à l’avancée technologique.Il n’est pas rare d’ailleurs que certaines intrigues de romans se déroulent dans plusieurs pays, ou à la croisée de cultures très différentes. On peut citer en exemple « Les Hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra qui se déroule en Afghanistan, pays on ne peut plus pertinent qu’il a choisi pour en dénoncer la sombre condition féminine et le radicalisme ravageur. Comme autre exemple, j’avais lu il y a quelques temps un beau court roman intitulé« Nagasaki » qui se passe comme son titre le suggère, dans le pays du soleil levant, dans la ville de Nagasaki au Japon. Rien ne laisse deviner que l’auteur, Eric Faye, est unfrançais pure laine.Il a choisi de transposer un fait divers en roman probablement sans avoir ressenti de barrière identitaire. Son livre est traduit dans de nombreuses langues et en japonais naturellement. Cette faculté de repousser les limites géographiques de la création littéraire est séduisante je pense pour quiconque souhaite produire des œuvres de fiction. Au-delà de cette liberté, j’éprouve personnellement un intérêt à aller à la rencontre de la différence, car en plus de découvrir l’autre dans son altérite, elle participe à mieux se connaitre soi-même, et in fine d’aider à mieux coexister avec ceux qui ne nous ressemblent pas mais avec qui nous partageons une seule et même planète.

Couverture du roman.

Vous avez opté pour une forme particulière, avec de courts « chapitres » qui commencent toujours par un titre.

Toujours en empruntant au format du journal intime, qui généralement s’amorce par une date, je souhaitais apposer un titre par chapitre, mais au lieu que soit une référence temporelle ou un nombre, je voulais qu’il renseigne d’un défaut ou d’un trait de caractère du narrateur. Dans la mesure du possible, je faisais en sorte que le contenu du chapitre puisse faire écho au titre. Ainsi, quand il disait « Je suis têtu », le lecteur pouvait s’attendre a ce que le chapitre nous révèle un exemple concret de ce trait de caractère. Pour finir, la somme des chapitres devait former un bouquet d’attributs divers, non exhaustifs bien évidemment, mais qui allait servir cette quête de soi entreprise au départ.

Au-delà des questionnements et tourments du personnage, votre roman est aussi et surtout une réflexion sur les écrivains et la littérature, un hommage même…

Bien sûr, il aurait été assez dommage, je pense, de simplement raconter une histoire plutôt banale d’un jeune adulte qui désespère de la vie et qui nous abreuve de ses tourments et de ses questions existentielles. Il me parait important qu’un roman puisse avoir un autre degré de lecture, que ce soit un hommage, un dessein philosophique, documentaire ou autre. Dans mon ouvrage en particulier, c’était aussi un exercice de style, car chaque référence littéraire a été posée avec l’idée d’en faire un clin d’œil subtil au développement même du récit ou de la vie du personnage principal. C’est en outre effectivement un hommage rendu à la littérature universelle au travers des noms d’écrivains et œuvres évoqués.

« J’aime croire que l’écriture n’est pas tributaire d’un bagage académique ou professionnel. »

Pour finir, vous êtes de formation scientifique, comment est né votre intérêt pour l’écriture ?

Je pense que ça a été nourri par un amour de la lecture qui m’a fait cheminer peu à peu vers une envie d’écrire. Je n’ai pas tout de suite réalisé que j’avais une propension à l’écriture. Cela s’est développé peu à peu, grâce à des correspondances que j’adressais à des amis, dans lesquelles il m’arrivait d’être particulièrement expansive. Je me suis finalement rendue compte que l’écrit était pour moi un moyen de communication qui me permettait de m’exprimer beaucoup mieux que l’oral. Avec le temps, je me suis surprise à aimer mettre sur papier des histoires qui défilaient dans ma tête, qui avaient, elles, l’avantage, contrairement aux évènements de ma vie, de me laisser les faire évoluer comme bon me semblait. En ce qui concerne ma formation scientifique, j’aime croire que l’écriture n’est pas tributaire d’un bagage académique ou professionnel. Mais que c’est surtout une vocation qui s’acquière par un don d’abord, puis qui s’étoffe par le travail. Parmi les écrivains, on retrouve des parcours de vie et des métiers très éclectiques, ils peuvent être professeurs, médecins, artistes, avocats, journalistes, mathématiciens, ingénieurs, autodidactes et j’en passe. Et c’est tant mieux, ainsi la littérature peut traiter de manière plus ou moins objective de tous les aspects possibles de notre réalité par le truchement de personnes qui ont une expérience de terrain dont leur activité littéraire peut tirer bénéfice. Je me permets de terminer par une citation de Louis Aragon qui dit dans « Le Roman inachevé » : « Il y a les choses qu’on fait parce qu’il faut pourtant qu’on mange, et les soleils qu’on porte en soi comme une charrette d’oranges Il ne faut pas trop en parler, c’est très mal vu dans le quartier, après tout, je vous le concède il y a métier et métier, la littérature en est un d’étrange. »

Sara Kharfi

  • « Confessions d’un écrivain pas tenté » de Samira Merbah. Roman, 128 pages, éditions Casbah, Alger, avril 2018. Prix : 750 DA.


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