FICTION/ Une journée ordinaire dans la vie d’un bibliophile

Samira Merbah, autrice du roman Confessions d’un écrivain pas tenté, paru en 2018 aux éditions Casbah, a publié, sur sa page facebook, un texte inspiré d’une histoire vraie. À la suite de la publication par une page, sur Instagram, de photographies d’une superbe librairie, qu’elle a située à Mostaganem, des internautes ont essayé de la localiser. Ils ont fini par définir son lieu, après bien des recherches et des rebondissements. Toute cette histoire a inspiré une « histoire vraie » à Samira Merbah, que nous publions ici avec son aimable autorisation. Petite remarque : Le titre de ce texte n’appartient pas à l’autrice, c’est une proposition, une description, qui nous semble juste, de son personnage, Nadir. Bonne lecture !

[Par Samira Merbah]

Voici un texte inspiré d’une histoire vraie.

Ce matin, Nadir, jeune algérien dans la fleur de l’âge, s’est levé avec une ferme intention. Une idée pour le moins saugrenue s’est imposée à lui comme une évidence. C’est un projet auquel il pense depuis quelques jours et qu’il décide de mettre à exécution aujourd’hui sans plus tarder.

Il s’est promis de retrouver cette bibliothèque dont il a vu les majestueuses photographies intérieures sur un compte Instagram, qu’il a découvert tout récemment, et qui énumère les sites d’intérêts, les endroits peu connus aussi bien que les trésors cachés de sa magnifique ville, Mostaganem, qui l’a vue naître et grandir. Cette bibliothèque peu commune, dont le compte Instagram fait mention serait sise rue Bouhariba, et bien que ce nom de rue ne lui dise rien, il se met derechef à la traquer sur Google earth et à appeler quelques connaissances pour l’aider à la situer.

La chaleur en ce 6 août est annoncée pour atteindre son comble de toute la semaine. C’est sans compter sur sa volonté gonflée à bloc, grâce à laquelle il s’assure de ne pas tourner les talons tant qu’il n’aura pas pu en apprendre plus sur cet endroit, en théorie si proche, mais pourtant si lointain, du fait du mystère qui l’entoure.

Nadir s’élance donc dans ce que d’aucuns qualifierait de mission hasardeuse, d’entreprise candide pour ne pas dire de quête éperdue.

Pour lui, son action obéit d’abord à un besoin profond, à un devoir impérieux de rendre ce lieu, méconnu, un peu plus accessible à tous ses amis proches et moins proches. Il imagine déjà tout le bien qu’il en dira après ses découvertes qu’il espère riches et stimulantes, les descriptions qu’il saura en faire, les photos qu’il publiera sur son fil d’actualité facebook ne sont que quelques exemples de la promotion qu’il compte en faire, pour contribuer à rendre à cet espace et à son propriétaire la réputation qui devrait leur échoir. 

Comment un tel joyau pouvait-il exister en toute méconnaissance de sa part, lui qui pensait avoir fait le tour de sa ville natale, en connaître les moindres recoins ? Lui surtout qui est ce lecteur impétueux, cet amateur friand de littérature et ardent défenseur des livres ? Comment un tel manquement pouvait-il s’expliquer ? C’était un peu pour palier à cette lacune qu’il rechignait à retarder cette recherche plus en avant, et ce, malgré ce ciel limpide où le soleil de plomb s’était invité dès le petit matin.

C’était à cette question qu’il entendait répondre d’ici la fin de son expédition, mais il était, il faut le reconnaître, bien davantage mu par l’expectative de pénétrer un havre envoûtant qui déclinerait des splendeurs littéraires empilées dans un pêle-mêle impressionnant, s’étalant sur de nombreux rayons comme il en voit seulement dans des photos en papier glacé ou sur la toile, et qui laisse rêveur. Tout à coup, ce rêve serait en passe de devenir réalité, à seulement quelques encablures du lieu où il réside. Peut-être est-il souvent passé à quelques mètres de cet endroit au gré de ses déambulations urbaines sans jamais y prêter attention. Cette idée l’obsède.

Il s’imagine franchir le portail d’une devanture qui ne payera pas de mine de prime abord, fouler ensuite de ses pieds un parterre déjà un peu plus rutilant, d’où commencerait à se dévoiler ce temple chastement gardé, qui abriterait des murailles de livres superposés en buttes frôlant le plafond, un plafond d’où jaillirait un lustre aussi clinquant qu’improbable.

Il défilerait ensuite entre ses rayons avec une lenteur gracile et vigilante où chacun de ses mouvements serait exempt de fébrilité, il feuillèterait des ouvrages anciens dont la valeur aurait pris du galon depuis leur édition originale, il examinerait prestement leurs pages et frôlerait délicatement leur couverture, tantôt en cuir, tantôt en carton. Il ne doute cependant pas que même les plus récents ouvrages sauraient capter ses faveurs. En définitive, Il serait tel un enfant dans un magasin de jouets bien fourni ; il s’émerveillerait pendant des heures, oubliant qui il est, où il se trouve. Il se laisserait simplement baigner dans un sublime moment de grâce.

L’atmosphère de cette bibliothèque, il l’entrevoit prégnante, prodiguant un charme enrobant tel qu’il serait presque impossible à quiconque franchirait le portail de ce lieu d’en sortir tout à fait indemne. Le sortilège ultime serait que l’heureux visiteur revienne le jour suivant, puis le jour d’après et ainsi de suite.


Nadir passa toute la matinée à chercher cette fameuse rue Bouhariba, en vain, la dénomination la plus proche qu’il trouva est la rue Bouhrira Senoussi. Une fois rendu sur place, il fit la connaissance d’un sympathique monsieur, se prévalant du métier d’avocat à la cour de Mostaganem, celui-ci lui assura qu’il n’y avait aucune bibliothèque dans les alentours. 

Pourtant, ceci ne le découragea pas à continuer sa quête, sur cette même rue Bouhrira existe une ancienne imprimerie artistique, il questionna son propriétaire et reçut le même type de réponse obtenue de l’avocat. L’homme est dans le métier de l’édition et du livre depuis bien longtemps et il aurait eu vent de cette bibliothèque si elle existait. Il lui apprit cependant, qu’il n’était pas le premier à demander après elle, que d’autres personnes s’étaient adressées à lui avec la même requête, ce qui rendait la chose intrigante.


Nadir était heureux d’apprendre qu’il n’était pas le seul à chercher cette bibliothèque. Avec les autres qui comme lui veulent sauver ce lieu de la désuétude, de l’abandon mais surtout d’une disparition inéluctable. Ensemble, en multipliant les fréquentations, ils lui redonneront un nouveau souffle, un nouvel éclat. Dans la ville, elle retrouvera ses lettres de noblesse, deviendra culte et incontournable. Il est persuadé qu’il ne s’agit pas là d’une gageure, mais d’une chose possible.

Il décida de se rendre à la bibliothèque municipale à côté de la mosquée El Badr pour avoir plus d’informations, le résultat des courses demeura malheureusement similaire. Il continua son parcours jusqu’au musée des arts populaires de Tobana, mais celui-ci était fermé.

Ces longues pérégrinations commençaient à lui faire douter de l’existence de cette bibliothèque, du moins à Mostaganem, ou alors était-elle toute récente et les photos publiées sur Instagram étaient probablement empruntées pour ne pas dire volées afin de donner au lieu-dit un cachet usurpé. Il envoya un message à l’administrateur du site Instagram pour lui demander des explications, ce dernier lui répondit qu’il posterait bientôt une vidéo qui révèlera cet endroit. Ceci donna à Nadir un espoir auquel s’accrocher.


En fin de journée, à la suite des nombreux statuts qu’il publia sur son compte facebook afin de rapporter l’état d’avancement de sa recherche, une amie lui envoya un message. Elle lui indiqua avoir retrouvé la source d’une des photos utilisées par le modérateur de la page Instagram. Il s’agissait en réalité d’une librairie indépendante qui ne se trouvait ni à Mostaganem, ni ailleurs en Algérie mais en Normandie. Nadir était offusqué, il reporta cet état de fait à l’administrateur de la page Instagram qui le bloqua aussitôt en guise de toute réponse.

Quel genre d’hurluberlu s’amuserait à prétendre l’existence d’une telle bibliothèque sur une page sensée promouvoir le tourisme d’une ville? Quel en est le but si ce n’est se risquer à une humiliation publique une fois le pot aux roses dévoilé?

Quelques centilitres de sueurs perdus plus tard, Nadir reste incrédule, assez déçu, plus par la supercherie avérée que par le mirage de la bibliothèque qui s’est évanoui. Il est aussi fatigué d’avoir déambulé toutes ces heures dans les rues poussiéreuses de l’été, et d’avoir été peut-être un peu naïf. Ceci lui aura au moins permis de redécouvrir de jolis endroits dont il prit quelques clichés mémorables, il sait du reste que cette mésaventure n’aura en rien entamé son amour et sa curiosité littéraire, ni son dévouement à réhabiliter le livre chaque fois qu’il le peut. En attendant d’aller rendre un jour visite à cette librairie en Normandie, il aura vécu son jour le plus long.

S. M.

07-08-2020


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