Cet article, quelque peu retouché ici, a paru initialement le 28 janvier 2018 dans « reporters.dz ». Je le republie ici parce qu’en rangeant ma bibliothèque, je suis tombée sur le livre et je l’ai relu ! Une relecture qui m’a une nouvelle fois marquée et j’ai voulu repartager l’article que je lui avais consacré, il y a déjà une éternité !
«S’il laisse quelquefois jaillir ses sentiments sur un ton mélancolique, le poète ne tombe jamais dans la sensiblerie sentimentale et le pathos. Toujours digne. Toujours prompt à se ressaisir même lorsqu’il a le cœur noirci par le désespoir», écrit Mustapha Benfodil (journaliste et écrivain), dans la préface du recueil de poésie, «Le Passeur de rêves», du martyr Mustapha Bekkouche, paru en octobre 2017 aux éditions ANEP.
« Aux faibles de gémir, aux lâches de se plaindre/D’un cruel destin mais qu’ils savent irréversible. » Ces deux vers reviennent dans au moins trois poèmes (« Pourquoi revenir », « Levons-nous », « Rayon de soleil ») de Mustapha Bekkouche, réunis dans le recueil Le Passeur de rêves. Ils semblent incarner le destin tragique de leur auteur, né le 2 novembre 1930 à Batna, adhérant dès l’âge de 14 au PPA, et « membre-fondateur de l’OS » à l’âge de 17 ans. Arrêté en 1954, il a été emprisonné à Coudiat (Constantine), Barberousse et Berrouaghia. Arrêté à nouveau des années plus tard, à El Milia, près de Jijel, il sera exécuté le 2 novembre 1960, à l’âge de 30 ans.
Mustapha Bekkouche avait également un talent pour les mots. Il est l’auteur de deux ouvrages parus à titre posthume aux éditions ANEP : Journal d’un oublié (2002), et Message d’outre-tombe et autres nouvelles (2004). Et c’est dans le registre de la poésie que l’on apprécie, cette fois-ci, le talent de Mustapha Bekkouche.
Dans Le Passeur de rêves, l’auteur donne libre cours à son imagination, à sa sensibilité, à sa verve, à ses rêves. Une écriture « protéiforme », comme le souligne le préfacier, qui écrit (dans sa préface intitulée « Le Poème debout de Novembre ») : « Il fait montre d’une telle maîtrise pour un si jeune talent, alliant force du propos et élégance lyrique, le tout adossé à de la culture, une sagacité d’esprit exceptionnelle et un goût appuyé pour la philosophie ». Et d’indiquer : « Le Passeur de rêves est un opus dont les poèmes sont loin de se cantonner dans le registre nationaliste comme on pourrait légitimement s’y attendre de la part d’un jeune militant révolutionnaire. Si cette verve pétulante est profondément engagée et résolument habitée par la cause indépendantiste, il faut dire que ce n’est pas une poésie exclusivement politique ».
Une quarantaine de poèmes, datés pour certains, composent ce recueil à l’écriture transcendante, « intimiste, marquée du sceau de la fragilité », dépassant ainsi la douloureuse réalité et l’injustice du système coloniale, pour laisser apparaître l’espoir et l’amour. Un poète qui célèbre la vie envers et contre tout.
« Une poésie qui chante l’amour et la liberté, qui questionne et bouscule des thèmes éternels comme la mort, le temps, la jeunesse, le sens de l’existence, les mystères de la création… C’est aussi une poésie qui invite à réfléchir », signale Mustapha Benfodil.
Mustapha Bekkouche, le poète, ne perd pas de vue, non plus, dans ses poèmes, l’idéal pour lequel il s’était engagé, pour lequel il s’était battu et auquel il aspirait (en tant que poète, que militant, qu’homme) : la liberté. Tour à tour, « mystique, métaphysique, romantique, sociale, épique, sensuelle, philosophique », la poésie de Mustapha Bekkouche, aux registres variés et d’une « implacable rigueur métrique sur le plan formel », dit et raconte aussi la solitude. Ce thème revient souvent, tout comme le vers suivant : « La cœur contre la raison se rebelle ».
Sara Kharfi
- Le Passeur de rêves de Mustapha Bekkouche. Recueil de poésie, 96 pages, éditions ANEP, Alger, 2e semestre 2017. Prix : 200 DA.
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