Hanane Bouraï, autrice du roman « Alter Ego » : « Je voulais écrire sur une femme célèbre, différente »

Le troisième roman de Hanane Bouraï, Alter Ego, a paru en octobre 2019 aux éditons APIC. Il raconte l’histoire des jumelles, Ayla, « étoile montante de la scène artistique du pays », et Alyin, qui a choisi « de mener une vie sans relief ». Hanane Bouraï, qui, indéniablement, sait raconter des histoires et s’affirme d’un livre à l’autre, revient dans cet entretien, sur l’élaboration de son roman captivant (par l’histoire racontée et la façon de la raconter), en évoquant ses personnages, et les thèmes de son écriture.

Qu’est ce qui vous a inspiré l’écriture de votre roman, Alter Ego, qui raconte l’histoire des jumelles Ayla et Aylin, que tout semble opposer ? Quel a été le déclic ?

  • Hanane Bouraï : Dans la création littéraire, il faut toujours, à mon avis, différencier entre l’inspiration et le déclic, ou la révélation. Concernant Alter Ego, l’idée a toujours été là : devenir chanteuse était un rêve d’enfance pour moi. Adolescente, j’ai adoré une série télévisée, Instant Star [créditée aussi Ma vie de star], qui raconte l’histoire d’une jeune chanteuse. Je crois que ça m’a aussi inspirée. Quant au déclic, c’était lors d’un concert de l’artiste, Ali Amran, auquel j’ai assisté dans mon village. Quand je l’ai vu monter sur scène, je me suis dit : « Je vais écrire sur ça ! »

Ayla est une artiste plutôt écorchée vive, tandis qu’Aylin a choisi une vie rangée. Leurs choix de vie nous permettent, en tant que lecteur, d’entrevoir leurs visions du monde. Qui sont Ayla et Aylin ? Et comment vous avez construit ces deux personnages ?

  • Au début de la rédaction d’Alter Ego, seule Ayla existait. Aylin n’est venue dans ma tête qu’un peu plus tard. Je voulais écrire sur une femme célèbre, différente, mais par rapport à qui ? Il fallait spécifier de quoi et de qui elle se distinguait, en personnifiant la société à laquelle elle faisait face dans une seule personne. Une sœur jumelle m’a semblé être le miroir déformant idéal, qui lui renverrait l’autre facette d’elle-même.

Alter Ego est un roman psychologique. Comment vous vous êtes vous retrouvée dans cet exercice ?

  • Souvent on se « retrouve » dans des situations auxquelles on ne s’attendait pas, et c’est probablement mon cas avec Alter Ego. Ce roman était censé avoir un aspect plus sociologique au début, mais, dès que j’avais décidé de « tuer » symboliquement l’une de mes héroïnes, il s’est coloré d’une teinte psychologique et mentale. C’est le contexte qui a guidé la suite.

Est-ce que le choix du thème vous a imposé cette forme-là ?

  • La réponse est oui. Au moment où j’avais décidé de faire de l’un de mes personnages un « alter ego » imaginaire, la trame du roman avait suivi une trajectoire imposée par le fil des idées et du thème ; ceux-ci avaient déterminé son style introspectif et détourné.

« Ayla essaie de s’affirmer en voulant être connue et en prouvant qu’elle peut être aussi célèbre et aussi riche que n’importe quel être humain, tandis qu’Aylin marque sa présence en accomplissant le rôle de la femme tel qu’on le lui a inculqué. »

Alter Ego est-il un roman sur la solitude ?

  • Oui et non, en fait. Oui parce que tous ceux (et surtout celles) qui se sentent différents se sentent seuls et incompris à cause de leur singularité. Leurs dons, que les autres ne saisissent pas facilement, sont un fossé entre eux et les gens dits « ordinaires ». Ceci dit, si ces dons ne sont pas partagés avec ces mêmes gens, ils ne seraient pas reconnus en tant que tels. L’art est après tout une ouverture sur les autres, une façon de compenser la solitude intérieure de l’artiste.

Parmi les grands thèmes de votre roman, il y a la musique (et le monde artistique) et la folie (à nuancer tout de même pour ce roman), qui étaient également présents (à un degré moindre pour la musique) dans votre précédent roman, Aussi loin iras-tu. Pur hasard ou est-ce vous-même qui affectionnez ces thèmes en particulier ?

  • La folie, aussi fascinante que la mort, est une énigme que même ceux qui en sont atteints ne la comprennent pas. Elle est un moyen d’expliquer l’irrationnel et de justifier l’inadmissible. Dans mes deux derniers romans, elle fut l’excuse logique pour des faits inacceptables comme l’abandon d’un enfant ou la mise à mort symbolique d’un personnage. La folie est une forme de trépas provisoire, qui permet de passer du raisonnement logique à l’imaginaire insensé, ce qui permet d’ouvrir d’autres horizons dans la création littéraire. Pour ce qui est de la musique, c’est un univers que j’aurais aimé intégrer, il y a longtemps. Plus jeune, je chantais beaucoup et, plus tard, je me suis initiée à la guitare mais, faute de temps, je ne m’y suis pas consacrée à cent pour cent. La musique me passionne toujours, j’en écoute presque chaque jour.

Autre idée qui se dégage du roman est le fait qu’il y a plusieurs manières d’être une femme : On peut se ressembler à l’identique comme Ayla et Aylin, mais en même temps, on peut être tellement différentes…

  • Votre constat est si juste malgré sa contradiction apparente. Les femmes peuvent avoir les mêmes idées préconçues, mais peuvent être différentes pour des préjugés. Dans Alter Ego, Ayla et Aylin ont eu la même enfance mais sont devenues très différentes : Ayla essaie de s’affirmer en voulant être connue et en prouvant qu’elle peut être aussi célèbre et aussi riche que n’importe quel être humain, tandis qu’Aylin marque sa présence en accomplissant le rôle de la femme tel qu’on le lui a inculqué. Chacune des deux perçoit son statut de femme à sa façon.

« Être une femme dans une société patriarcale est un combat quotidien, qui se passe surtout à l’intérieur de soi et qui mène soit à la reddition, au manque de confiance en soi ou, dans certains cas, à la rébellion. »

En même temps, on s’aperçoit, au fil des pages, qu’il est très difficile d’être une femme. A la lumière de votre texte, qu’est ce qui entretient le plus cette difficulté : La manière dont on se perçoit soi-même ou le regard des autres ?

  • Cette difficulté réside et dans le regard qu’on porte sur soi-même et dans celui que les autres ont sur nous. Comme Ayla, on peut être bien dans sa peau, faire ce que l’on veut dans la vie, mais au moindre faux pas, on fait de nous la risée de tous ; on sombre dans la dépression malgré la confiance qu’on avait en nous-mêmes. Cependant, le regard des autres n’a jamais été une source d’accomplissement de soi. A l’exemple d’Aylin, on peut faire ce qui est jugé bon et se fondre dans le moule sans pour autant être en harmonie avec soi-même. Être une femme dans une société patriarcale est un combat quotidien, qui se passe surtout à l’intérieur de soi et qui mène soit à la reddition, au manque de confiance en soi ou, dans certains cas, à la rébellion.

Comme dans votre précédent roman également, vous utilisez, dans votre narration, le pronom personnel « Tu » (je souligne que ce n’est pas le seul dans le texte), qui interpelle à la fois le lecteur et les personnages. Pourquoi ce choix ?

  • J’avais utilisé la deuxième personne du singulier dans mon premier roman, L’arbre Infortuné (paru en 2014), pour interpeller le lecteur et avoir une sorte de « cachet personnel » dans mes écrits. Je l’ai réutilisé pour les deuxième et troisième romans, car cela venait tout seul, comme si ça allait de soi. C’est devenu une habitude et c’est autant facile d’utiliser ce pronom personnel plutôt qu’un autre.

Vous décrivez aussi, dans ce roman, l’ascension fulgurante d’une artiste et sa descente aux enfers. Cette connaissance du monde artistique est-elle le fruit de recherches ou d’observation ? Vous semblez être le genre d’écrivain qui observe beaucoup.

  • Comme je vous l’ai dit, l’ascension d’Ayla est inspirée en partie d’une série télévisée. Pour ce qui est de la chute, je l’ai décrite selon ce que je vois et j’entends autour de moi et dans les médias ; la plupart des jeunes stars dans le monde finissent mal, et on observe souvent, chez les célébrités, une sorte de « folie des grandeurs » qui peut les mener droit au mur si elles ne se ressaisissent pas à temps.

Concernant l’écriture, vous êtes plutôt une écrivaine qui pense et pèse chaque mot ou qui se laisse emporter par l’écriture et ainsi offrir une grande liberté à vos personnages ?

  • Quand j’écris, je commence par coucher sur papier toutes les idées qui me viennent en tête. Quand vient le moment de recopier sur ordinateur et de peaufiner mon écrit, j’élimine tout ce que je juge inutile en corrigeant les erreurs éventuelles. Durant cette étape justement, je choisis chacun de mes mots, et le résultat final est le fruit de longues réflexions et d’un tri mûrement réfléchi.

Vous avez signé ce roman avec votre vrai nom, contrairement aux précédents où vous utilisiez le nom de plume Junon Lys. J’ai lu, dans un de vos entretiens, que le but n’était aucunement de cacher votre identité mais d’instiller un peu de mystère et de susciter la curiosité du lecteur. D’abord, est-ce que cela a marché ? Ensuite, Junon Lys est-elle votre alter ego, ou est-ce que vous avez le sentiment de vous dédoubler, d’être une autre personne, lorsque vous écrivez ?

  • L’usage d’un pseudonyme n’était pas aussi efficace que je l’avais escompté. Je l’avais fait pour faire « mystérieux » et attirer l’attention. Certes, c’était parfois le cas, mais les gens n’arrivaient pas à se faire avec ce nom de plume : parfois ils ne le prononçaient pas bien, certains croyaient que je l’avais choisi pour cacher mon identité ou, pire, pour ne pas m’assumer, sans compter les questions interminables sur les origines et le pourquoi d’un pseudonyme pareil. Pour Alter Ego, que j’ai signé avec mon vrai nom, les choses sont beaucoup plus simples car je ne suis plus confrontée à certaines questions inopportunes. Concernant ma propre personne, j’avoue me sentir différente lorsque j’écris mais cela ne veut pas dire que je suis quelqu’un d’autre quand je n’écris pas. Écrire fait partie de moi et la littérature fait partie intégrante de ma vie. Elle est un besoin vital que je ne peux dissocier de ma personne, car je serais incomplète si un jour je m’en passais.

Sara Kharfi

Alter Ego de Hanane Bouraï. Roman, 128 pages, éditions APIC, Alger, octobre 2019. Prix : 500 DA.


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