Le cinquième numéro de cette revue annuelle, qui célèbre l’imaginaire et la liberté, est consacré aux « Droits humains », et regroupe des textes (et des photographies) de contributeurs de différents horizons (dont d’Algérie). Ils sont essayistes, romanciers, nouvellistes, traducteurs, plasticiens, poètes ou photographes, et ils « nous rappellent au choix impérieux de l’éveil, du qui-vive et de la parole libre face aux pires dérives, en cette période de régression identitaire, de puérilisme généralisé et de démission compulsionnelle », est-il souligné dans la présentation.

Apulée – du nom du célèbre auteur de L’Âne d’or (ou Les Métamorphoses), considéré comme le premier roman de l’humanité –, est une revue annuelle de littérature et de réflexion, paru pour la première fois, en février 2016, aux éditions françaises Zulma.
Initiée par le poète et romancier Hubert Haddad (rédacteur en chef), entouré par Yahia Belaskri, secrétaire de rédaction et membre du comité de rédaction, avec Jean-Marie Blas de Roblès, Ananda Devi, François-Michel Durazzo, Hubert Haddad, Laure Morali, Cécile Oumhani, Catherine Pont-Humbert et Eric Sarner, cette revue a pour ambition de « parler du monde d’une manière décentrée, nomade, investigatrice, avec pour premier espace d’enjeu l’Afrique et la Méditerranée » (extrait de la présentation).
Chaque numéro de cette publication, qui a pour principe « la liberté », et qui aspire à célébrer l’imaginaire en faisant cohabiter les langues et en partageant et rapprochant les lointains, aborde un thème en particulier et le décline sous différentes formes artistiques : poésie, nouvelle, réflexion, photographies, tout en proposant des entretiens et des dossiers. Après Galaxies identitaires, De l’imaginaire et des pouvoirs, La guerre et la paix, et Traduire le monde, le cinquième numéro, paru le 28 mai 2020, est consacré aux Droits humains.
Vaste question que celle des droits humains, qui sont bafoués dans toutes les parties du monde. Nous assistons même à des remises en question de certains acquis. Hubert Haddad resserre la thématique, qui comme pour tous les autres numéros a la liberté comme principe fondamental, et définit la démarche de cette cinquième livraison, en écrivant dans son texte d’ouverture intitulé « Liberté d’être libres » :
« Approcher au plus juste la question des droits incessibles, de l’humain et de sa survivance face à l’espèce de coalition incontrôlable des arbitraires, déprédations, impérities, chantages à relents génocidaires, méprises fatales – et au-devant des aspirations légitimes à la culture et aux libertés –, c’est l’enjeu de ce baroud d’espoir, le cinquième en date, le plus proche du cœur. »
Ce numéro d’Apulée s’intéresse, entre autres questions, à la résistance par les mots, et décline ce thème dans un très bel entretien, mené par Cécile Oumhani, avec la journaliste et écrivaine turque Asli Erdoğan, qui était à l’époque de sa réalisation (début février 2020) poursuivie par la justice de son pays pour des faits surréalistes et très graves aussi ; son tort est d’avoir une parole libre et d’être du côté de ceux qui souffrent. De son exil, Asli Erdoğan a abordé des questions essentielles sur le rôle des écrivains, des mots et le rapport à la langue (le sentiment d’étrangeté dans sa propre langue). Les mots et la langue sont également au centre de la contribution d’Amira-Géhanne Khalfallah, autrice d’un premier roman très remarqué, Le naufrage de La Lune (éditions Barzakh, Alger, 2018). Dans son texte, sublime, « Parce qu’ils ne connaissent pas les mots de la mer », elle place la mer comme le lieu de toutes les libertés, espace incontrôlable et négligé, ainsi, ses mots (le langage des marins) n’ont été ni instrumentalisés, ni dénaturés. Ce langage plutôt « technique » est l’expression même de la liberté et des mélanges.
« Murmures de l’Albatros hurleur » est un superbe texte de Khalid Lyamlahy, qui évoque notre monde injuste et en souffrance, et toutes les douleurs qu’on s’inflige entre humains. Comme en écho à ce texte, Yahia Belaskri s’intéresse spécifiquement aux harraga, dans « La mer blanche du milieu et ses fantômes », et nous rappelle des choses tellement nécessaires, notamment que ces hommes et ces femmes (et enfants aussi) qui entreprennent ce voyage sur des embarcations « d’infortune » sont des êtres vivants qui n’aspirent qu’à une vie heureuse ; que les « morts sans sépultures » sont bien plus que des statistiques ; et qu’au chaos du monde, aux échecs politiques, nous devons conserver notre lucidité (d’autant que nous sommes tous responsables de l’état du monde) et l’exprimer et agir, selon l’auteur, à travers « la bienveillance et la bonté ».
En outre, la revue a partagé quelques photographies de Sofiane Bakouri, sur « La marche d’Aokas » du 29 juillet 2017, accompagné d’un texte qui nous replace dans le contexte de l’époque signé Katia Chibi. Cette marche pacifique, appelée également « la marche du livre » – les manifestants avaient un livre à la main – a été organisée à la suite de l’interdiction par les autorités du café littéraire d’Aokas. « Un jour, dans une petite ville d’Algérie, des anonymes ont rendu un des plus beaux hommages à la littérature et donc, à l’humanité toute entière. Les peuples ont leur génie », écrit Katia Chibi.
Parmi les autres contributions de ce cinquième numéro d’Apulée, on retrouve celle de Keltoum Staali, qui a proposé un extrait de son roman inédit La ville aux yeux d’or, celle d’Adlène Meddi sur la paranoïa et la citoyenneté malmenée, de nombreux poèmes (dont ceux de Hamid Skif, Anna Gréki, Bachir Hadj Ali, Rachid Mimouni, Jean Sénac, Hafid Gafaïti…), la « Lettre au Président » (Bouteflika) d’Albert Memmi, et un dossier sur le grand poète marocain Mohammed Khaïr-Eddine.
A l’instar des précédents, ce numéro d’Apulée, de 417 pages, est riche par sa liberté de ton et la qualité de son contenu. Il nous ouvre, à nous autres lecteurs, des perspectives et nous offre des pistes de réflexion pour dialoguer et penser le monde d’aujourd’hui.
Et pour boucler la boucle, comprendre l’esprit de ce numéro et celui de la publication en générale, revenons au premier texte de la revue d’Hubert Haddad, dans lequel il écrit :
« Il y a certes beaucoup à vivre, à sauver et à réinventer, avant qu’une transition de phase rende la planète au silence éternel de ces espaces infinis. ‘Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté’, écrivait le René Char de Fureur et Mystère. On pourrait sans rien trahir changer le mot par celui de liberté. Toute la place est pour la liberté.»
Sara Kharfi
Les éditions Zulma ont lancé, au début du confinement en France, en mars dernier, « Une Nouvelle pour échapper aux nouvelles », qui consistait en la mise en ligne, en format PDF, des textes en libre lecture. Parmi ces textes, on retrouve le numéro #5 d’Apulée, qui est toujours disponible ici : https://mcusercontent.com/c18b9fd012/files/6d791d3b-702f-4770-a200-05b299d8c823/Apulee_5_BD.pdf
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