« Le Soleil sous le tamis » de Rabah Belamri : Dire son monde avec des yeux d’enfant

Le Soleil sous le tamis est un récit personnel racontant l’enfance de l’écrivain Rabah Belamri dans son village Bougaâ. Décrivant les petits plaisirs de l’enfance, la dure réalité villageoise durant la colonisation, les modes de vie et traditions, le livre est articulé autour de trois grandes parties (La rue et les saisons, L’Arbre de vie, Deux paradis à l’horizon) et de textes qui restituent les sensations, les inspirations, les espoirs et déceptions d’un petit garçon…d’un adulte qui a gardé son âme d’enfant, qui s’émerveille de tout, qui choisit, qui tranche, qui ne cède rien… qui vit pleinement son enfance et dit sa vérité et son désir du monde.

Rabah Belamri était un grand conteur. Du genre qui sait captiver son auditoire par la fluidité de son verbe, la simplicité et la complexité de son style. Assurément, il sait raconter des histoires et les rendre intéressantes. La lectrice que je suis a été émerveillée, emportée par son récit personnel, Le Soleil sous le tamis, paru initialement en 1982 chez Publisud et réédité en Algérie, octobre 2019, par les éditions El Kalima. Une belle initiative de cet éditeur, qui s’emploie depuis sa création, à mettre en lumière voire à « déterrer » des textes majeurs du patrimoine littéraire algérien et maghrébin francophone. A propos de cette publication, les éditions El Kalima soulignent, en quatrième de couverture : « Largement autobiographique, l’œuvre de Rabah Belamri (1946-1995) qui s’étale sur une douzaine d’années de production continue, est aujourd’hui incompréhensiblement oubliée dans son propre pays. En rééditant Le Soleil sous le tamis, son premier récit personnel publié en 1982 avant de lui consacrer, en accord avec l’ayant-droit, un de leurs prochains PIM, les éditions El Kalima entreprennent de restituer pleinement à cet écrivain stylé, à la langue riche mais sans concessions, la place qui lui est due au sein de la littérature algérienne, de la littérature francophone universelle. »

A la manière du « meddah » du jour de marché (évoqué dans le texte Féériques jeudis), Rabah Belamri conte dans Le Soleil sous le tamis –qu’on peut considérer comme une autofiction –, son enfance au sein de son village Bougaâ (Lafayette durant la colonisation) dans la wilaya de Sétif, la vie villageoise avec ses joies et sa dureté, les croyances et les rites de ses habitants, leurs difficultés et leur lutte quotidienne pour survivre. Il décrit ses souvenirs des rituels et des fêtes (Boussaâdia, La fête du mouton, Ramadan), les relations sociales et les traditions qui pèsent de tout leur poids sur les villageois, et sur les femmes notamment.

« Notre village avait deux noms : l’un, sentant fortement le terroir, Bougaâ (l’homme à l’aire de battage) ; l’autre apporté dans les maigres bagages des premiers colons, Lafayette, dont l’histoire nous était inconnue mais privilégiant tous ceux qui avaient, tant soit peu, pratiqué l’école française, et qui copiaient la vêture de l’étranger. Bâties au gré des commodités du terrai, ratatinées, les maisons offraient des façades orbes d’un gris tavelé. Leurs toitures de briques étaient souvent panachées de vert, feuillage d’une vigne jaillissant d’une cour intérieure insoupçonnée. Etroites, les portes d’entrée donnaient rarement sur les lieux de fréquentation masculine. » (P11).

Il raconte, avec beaucoup de tendresse, la mère, qui le chouchoute et le choie, son  combat à elle contre ses démons en faisant appel à des charlatans (et à des médecins aussi), sa ruse pour arriver à ses fins face à son mari. Une femme attachante, qui a eu une jeunesse difficile et qui a fait tout son possible pour protéger les siens et leur offrir le meilleur. Il raconte aussi le père, Aïssa, quelque peu autoritaire, marchand de fruits et légumes généreux, qui n’a réellement exprimé son amour qu’a son jardin, et qui a tenu à offrir à son fils une instruction à la fois à l’école coranique et française. Rabah Belamri décrit les jeux et les espiègleries de l’enfance, les personnages singuliers du village, les voisins et leurs bavardages…la vie dans un monde qui continue de vivre dans le cœur d’un adulte, qui n’a pas du tout renoncé à l’enfance. Et c’est peut-être là où réside le secret de ce texte , dans cette âme d’enfant que l’auteur a gardé et qui lui a permis de s’émerveiller encore. De tout.

Dans cet univers merveilleux, plein de fraîcheur et de clairvoyance où des tranches de vie sont restituées, se créé un ensemble qui met en lumière la vie d’Algériens avant la guerre. On peut trouver un caractère culturel et « Anthropologique » à ce texte tant il détaille les coutumes, les connexions et les rapports au sein de la société villageoise. Sans fioritures, sans concessions mais avec beaucoup de lucidité, de distance et d’affection, Rabah Belamri lutte contre la disparition du monde de l’enfance, en le restituant dans ses détails. Il fictionnalise, (re)donne vie à ceux qu’il a croisé, côtoyé, aimé ou détesté pour les préserver de l’oubli et les faire vivre éternellement dans un texte littéraire, désarmant par sa sincérité et puissant par ce qu’il dit ou sous-entend.

Né le 11 octobre à Bougaa et mort le 28 septembre 1995 à Paris, Rabah Belamri perd la vue en 1962. Il est l’auteur de plusieurs textes (romans, contes, poèmes), dont cette formidable autofiction Le Soleil sous le tamis. Un très beau moment de lecture !

Sara Kharfi

Le Soleil sous le tamis – Un enfant, une famille, un village d’Algérie avant l’indépendance de Rabah Belamri, récit autobiographique, 352 pages, éditions El Kalima, Alger, octobre 2019. Prix : 1200 DA.


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